Quelque part dans une dimension étrange, hors de l’espace et du temps, Soridormi et Nozdormu, l’Aspect de Bronze, contemplaient les images du rêve de Chronormu, visualisant chaque détail des terribles adversaires que Farfadet et les Gardiens du Temps avaient dû affronter.
L’air sombre de l’Aspect du Temps ne laissait rien présager de bon, elle le savait. Mais comme sa fille Chronormu, Soridormi était avant tout bouleversée par l’histoire d’amour maudite de Farfadet et de sa compagne Ivy, la Tourmentée.
Elle avait cependant été surprise de constater que, loin d’être contrarié de l’initiative de sa fille cadette, Nozdormu avait approuvé les choix de la jeune Chromie… Même s’ils se révélaient une torture pour Farfadet.
« Il a fait son choix, commenta simplement Nozdormu. Chronormu n’a fait que faire cadrer celui-ci dans la trame du Temps.
- Ce n’était pas un véritable choix, et vous le savez parfaitement ! répliqua Soridormi, son instinct de mère lui insufflant rage et désespoir devant la situation tragique à laquelle Farfadet avait été confronté.
- Il était écrit que les choses se passeraient ainsi, ma chère. Vous savez comme moi que le passé ne doit à aucun prix être changé.
- Bien entendu, Nozdormu, répondit son épouse. Toutefois, mon cœur saigne toujours de devoir à ce point manipuler les mortels pour aboutir… A quoi ?
- Il suffit, Soridormi. Je comprends vos doutes et vos réticences, mais le rôle d’Ivy est trop important. Le destin des mondes a déjà été gravement mis en péril lorsque la Dame Noire l’a prise. Maintenant que nous avons réussi à ramener l’équilibre de la Balance des Temps, son passé ne peut plus être changé. Son destin s’accomplira, coûte que coûte.
- Etes-vous certain qu’elle soit… celle que nous pensions ?
- Il n’y a aucun doute possible, Soridormi, coupa doucement le Dragon de Bronze. La Marque est sur elle.
- Alors tout est perdu, soupira sa compagne. Son retour dans les rangs du Roi Liche sonne le glas des espoirs du monde des mortels.
- Ne croyez pas cela, ma chère. Rien n’est encore joué. J’ai pleinement confiance en Farfadet et ses compagnons. Tout me porte à croire qu’eux aussi sont irrémédiablement liés à la confrontation finale des Elus de l’Ombre et de la Lumière. Hélas, en acceptant le fardeau de l’héritage des Rouges, Farfadet a pris une place qui n’était pas la sienne… Et a par conséquent choisi sans le savoir le destin torturé qui sera le sien. Son attachement à la Tourmentée ne lui causera que plus de souffrances. Ce qui a été fait aujourd’hui… devait être.
Tout ce que nous pouvons faire à présent, c’est prier pour que les actes de Farfadet et des Saigneurs Ecarlates puissent guider Ivy vers… Le bon choix.
Car à la fin, ce sera le choix de cette jeune fille qui décidera de l’avenir de ce monde… Et des autres. »
Soridormi resta silencieuse, le regard perdu dans la contemplation des images du rêve de Chronormu.
« Sait-il ? » demanda soudain Soridormi.
Nozdormu hésita un instant avant de répondre.
« Que voulez-vous dire, Soridormi ?
- Vous le savez parfaitement, Nozdormu, répondit-elle d’une voix dure. Farfadet sait-il… Qu’il est père ?
- Non, dit-il. Je… Cela n’aurait rien changé. »
Soridormi regarda son époux. Une larme brillait au coin de son œil.
« Moi aussi, Soridormi, je pleure d’avoir à infliger une telle torture à une âme aussi noble, souffla-t-il. Je… Je n’ai pas pu… le lui avouer.
- Et elle… Sait-elle qu’elle a enfanté ? demanda doucement la dragonne.
- Elle… l’a oublié… » répondit le Seigneur du Temps, tandis qu’une nouvelle larme de bronze lui mouillait les yeux.
Soridormi fixa à nouveau le rêve de Chromie, passant et repassant les images des deux amants que leur destin tragique avait séparés.
Les larmes de Nozdormu coulaient silencieusement de ses yeux d’or.
« Le destin est impitoyable, Soridormi. Même si cela nous brise le cœur, rien ne doit être changé. »
L’épouse du Gardien du Temps ne répondit pas.
Cependant, après un long moment, elle finit par demander :
« Et comptez-vous leur dire un jour… Que leur enfant est toujours en vie ? »
[A SUIVRE…]