Chroniques écarlates (15)

Secrets

Looping fixait toujours Farfadet – Zverenhoff sans dire un mot.
Intrigué par le silence de son compagnon de cellule, Thrall posa à nouveau les yeux vers leur visiteur.

« Eh bien ? lança-t-il d’un air hargneux, à l’attention de celui qu’il croyait l’un des sbires de Blackmoore. Que veux-tu, humain ? »

Les mots de Farfadet, toujours incapable de digérer l’étrange secret qu’il venait de découvrir, s’étranglèrent dans sa gorge.
Ce fut Looping qui répondit au futur chef de guerre des Orcs.
« Je ne crois pas qu’il soit dans le camp de nos gardiens, ami. » dit-il d’une voix calme.
Thrall lui jeta un regard surpris.
« Et que serait-il venu faire ici, dans ce cas ?
- Vous libérer, reprit enfin Farfadet. Je suis…
- Nous libérer ! coupa Thrall en s’esclaffant presque. C’est un piège grossier ! Nous ne…
- Non, coupa Looping, toujours aussi calme. Il ne ment pas. »

Thrall, décontenancé, regarda alternativement Looping et Farfadet. Lorsque les yeux du chaman croisèrent les siens, Farfadet soutint son regard du plus fermement qu’il put. Après un moment, sans doute apaisé par l’étrange confiance de Looping, Thrall acquiesça.
« Très bien, dit-il finalement. Je te crois, humain. »

Farfadet ne fut pas long à forcer les serrures des deux cellules.
Thrall, en franchissant la porte de sa geôle, agrippa Farfadet au bras, le serrant avec force. Farfadet reconnut l’un des saluts de l’héritage orc que le jeune chef de guerre, pourtant élevé par les humains, portait toujours dans son sang.
« Quel est ton nom, ami ? demanda-t-il.
- Je suis… le Duc Nicholas Zverenhoff, répondit Farfadet, qui pâlit d’horreur en réalisant qu’il avait été sur le point, pendant un instant, de donner son véritable nom au jeune futur chaman.
- Soyez remercié pour ce que vous aurez fait pour nous aujourd’hui… Seigneur Zverenhoff. » reprit Looping, tandis que Thrall continuait à l’observer fixement.

Quelque chose dans le ton de Looping fit dresser l’oreille à Farfadet. L’espace d’un instant, il crut déceler sur le visage de l’orc un léger sourire, qui se volatilisa dès que leurs regards se croisèrent.
Un sourire qui, songea Farfadet, était celui de quelqu’un qui en sait plus que ce qu’il ne veut bien dire.


Ayant mis en quelques mots ses deux compagnons au courant des derniers évènements, Farfadet se hâta de les guider vers la sortie du donjon.
Ceux-ci lui emboîtèrent le pas sans hésitation, comprenant que la diversion qu’avait créée Farfadet pour s’introduire dans la prison n’allait pas monopoliser les gardes bien longtemps.
Ils prirent néanmoins le temps de faire un détour par l’armurerie des gardes que Farfadet avait localisée à l’aller, permettant ainsi à Thrall et à Looping de s’équiper rapidement pour une sortie en force. Looping, sentant sans doute ses sens du guerrier se remettre en action après son emprisonnement, paraissait revivre lorsqu’il enfila sur sa tête le heaume à large visière de l’unique garde resté en faction dans la salle, que Farfadet avait estourbi d’un coup de poing lorsqu’ils étaient remontés.

En sortant en toute hâte de la forteresse, les trois compagnons découvrirent, plus loin en contrebas, au niveau des baraquements des orcs prisonniers, un sinistre spectacle. Sans réfléchir ni même se consulter, ils se précipitèrent vers l’endroit.
Un groupe d’orcs avait été rassemblé au milieu de la zone, encerclés par les soldat du Lieutenant Drake qui hurlait de tous ses poumons sur les malheureuses créatures apeurées.
« QUI A ALLUME CET INCENDIE ??? » tonnait-il à l’intention de ses prisonniers. « REPONDEZ !!! »
Les sanglots hystériques d’un enfant vrillaient les tympans de l’assistance. Et pour cause.
Une Orque gisait inanimée au sol. Ses yeux grands ouverts fixaient à présent le ciel avec indifférence. Elle avait quitté ce monde et ses souffrances. Une blessure sanglante barrait sa poitrine, et dans la mare de son sang, un jeune orc pleurait la mort de sa mère, qui s’était interposée entre lui et le Lieutenant Drake lorsque celui-ci avait voulu s’en prendre à l’enfant.
Un enfant que Farfadet reconnut avec horreur.
Gorghotha.

« REPONDEZ OU VOUS SUBIREZ LE MEME SORT QU’ELLE, BANDE DE CHIENS !!! JE VOUS MASSACRERAI JUSQU’AU DERNIER !!! » hurla à nouveau Drake en postillonnant, sans s’apercevoir de la présence, plus haut, d’un Farfadet bouillant de rage.
Tout à sa fureur, le guerrier n’avait pas remarqué l’exclamation de stupeur étouffée que Looping, sous son casque, venait de pousser.

« Misérable !!! dit Farfadet d’une voix sombre, qui interrompit d’un coup les hurlements de Drake, qui se retourna comme s’il était monté sur ressorts. Ce crime… tu vas le payer de ta vie !!! »
L’officier eut un mouvement de surprise en reconnaissant celui qui l’avait apostrophé, mais ce fut de reconnaître Thrall à ses côtés qui acheva de provoquer sa fureur.
« Trahison ! s’écria-t-il. C’est vous… Vous avez… Vous avez libéré l’orc !!! Vous êtes devenu fou !!!
- Qui est le plus fou de nous deux ? rugit Farfadet en réponse. Pourquoi vous en prendre à des prisonniers inoffensifs ???
- Ces chiens galeux de la Horde ? cracha Drake. Pourquoi vous en soucier ???
- Parce que même le pire d’entre eux est incapable de la cruauté dont font preuve les Hommes. » répondit Farfadet d’une voix glacée.
Le lieutenant blêmit de rage.
« Inutile de discuter avec vous, tonna-t-il. Vous n’êtes qu’un traître ! Et vous subirez le sort des traîtres !!! Gardes !!! Emparez-vous d’eux !!! ».
A ces mots, les soldats se ruèrent à l’assaut des trois combattants, qui ripostèrent immédiatement. Les soldats étaient certes braves, mais l’inaction prolongée à laquelle ils avaient été exposés à surveiller des Orcs apathiques ne pouvait rivaliser avec la juste fureur de Farfadet, Thrall et Looping. En quelques instants seulement, le lieutenant Drake se retrouva seul, entouré des corps de ses gardes. Tremblant de fureur, l’homme recula devant le spectacle, tandis que ses yeux fouillaient les alentours à la recherche d’une échappatoire à la vengeance des trois évadés.
Lorsque ses yeux tombèrent sur Gorghotha, toujours en train de pleurer aux côtés de sa défunte mère, un sourire mauvais se dessina un instant sur le visage du soldat. Avant que Farfadet et ses compagnons n’aient pu faire un geste, il s’empara brutalement de l’enfant, et lui mit sa lame sous la gorge. L’enfant hurla, un cri de douleur et de détresse qui figea sur place les trois compagnons.
« Faites encore un pas, et il rejoindra sa mère !!! cria Drake, menaçant.
- Si tu touches à un seul de ses cheveux… gronda Thrall.
- Si vous tenez à lui, restez tranquilles ! répondit l’homme. Les renforts arrivent… Restez bien sages, et peut-être qu’il vivra… »
Farfadet et Thrall échangèrent un regard. Il était bien trop risqué d’essayer d’intervenir, Drake n’hésiterait pas à mettre sa menace à exécution.
Looping, un peu en retrait derrière eux, fixait avec intensité le visage de l’enfant, dont les larmes ne cessaient de ruisseler sur ses joues. Les sanglots de Gorghotha, malgré sa peur, s’étaient faits plus discrets, comme si, malgré sa douleur, l’enfant comprenait que l’enjeu de cette situation était encore plus important que les souffrances d’un seul.
L’enfant posa un long regard plein de désespoir sur le corps inerte de sa mère, puis son chagrin se fit rage.
D’un seul coup, vif comme l’éclair, il agrippa la main qui le menaçait, et y mordit de toutes ses forces. Le sang de Drake jaillit. L’homme, d’un mouvement réflexe, se débarrassa d’une bourrade de Gorghotha en hurlant de douleur… Un hurlement qui s’interrompit d’un seul coup, lorsque la lame de Looping, expédiée par celui-ci avec une précision redoutable, se planta en vibrant au fond de la gorge de l’officier.
Même Farfadet et Thrall avaient été pris de vitesse et regardèrent leur compagnon avec stupéfaction. Celui-ci ne leur accorda pas un regard, n’ayant d’yeux que pour l’enfant tombé à terre. Il se précipita vers lui et le prit dans ses bras. Instinctivement, Gorghotha se serra contre lui, étouffant ses sanglots, tandis que Drake, écroulé à terre, cherchait en vain un air qu’il n’arrivait plus à inspirer. Looping, se désintéressant totalement de lui, fit face aux prisonniers Orcs qui avaient assisté à la scène, paralysés par la peur et la surprise.

« Debout, Fils de la Horde !!! tonna le guerrier d’une voix vibrante dans sa langue natale. Avez-vous oublié votre honneur ??? Avez-vous oublié la valeur de votre sang ??? L’une des vôtres, continua-t-il en désignant le corps de la mère de Gorghotha, vient de périr sous les coups d’un lâche qui l’a payé de sa vie. Mais laisserez-vous cet affront impuni ? Jusqu’à quand laisserez-vous les Hommes vous faire subir pareilles humiliations ??? Lok’Tar Ogar, mes frères !!! L’heure est venue de reprendre le combat !!! Dorénavant, l’Alliance devra payer le prix de ses crimes !!!»
Galvanisés par l’appel aux armes de Looping, les Orcs se rassemblèrent et se redressèrent l’un après l’autre. Farfadet, médusé, vit que dans leurs yeux brillaient à nouveau de la flamme ardente qui animait les braves de son peuple.
Looping se tourna alors vers Thrall, tout en continuant à porter Gorghotha.
« J’en ai fini des longs discours, Thrall fils de Durotan, dit-il simplement. Désormais, ce sera à toi de mener notre peuple à la victoire. »
Pendant un long moment, Thrall considéra Looping en silence. Puis, il lui mit la main sur l’épaule et fixa le guerrier droit dans les yeux.
« Compte sur moi, mon ami. » dit-il gravement.

« Mes frères !!! tonna à son tour Thrall à l’attention des Orcs. Nous devons sortir d’ici, nous armer et nous organiser pour en finir avec Blackmoore et ses sbires ! Et lorsque nous aurons réussi à démolir chaque pierre de cette forteresse… Nous nous occuperons des autres camps de prisonniers !
Bientôt, tous nos camarades seront libres, et l’Alliance des Hommes sentira s’abattre sur elle le poing vengeur de la Horde !!! »
Ce fut un cri de guerre rageur poussé à l’unisson par ses nouvelles troupes qui fit écho aux dernières paroles de Thrall.
« On dirait bien, dit doucement Looping à l’intention de Farfadet, que grâce à vous, Seigneur Zverenhoff, la Horde vient de renaître de ses cendres. »

La sortie en force des orcs en furie prit complètement au dépourvu les forces de l’Alliance. En seulement quelques minutes, les gardes furent balayés. Bien que désarmés, les évadés étaient animés d’une rage de vaincre que les soldats de Drake n’avaient pas revue depuis des années, lors de la Deuxième Guerre.

Cependant, dès qu’ils eurent franchi les portes d’entrée de la forteresse, Thrall leva la main. Tous, en un instant, se figèrent sur place.
Thrall, Looping et Farfadet échangèrent un regard entendu.
Tous trois savaient que de nombreuses garnisons humaines étaient en position non loin de Durnholde. Rester ainsi tous groupés, sans autre arme que leurs poings pour se défendre, était un pur suicide. Farfadet chuchota quelques mots à l’oreille du chef de guerre, qui acquiesça.
« Mes frères ! cria-t-il à ses compagnons. Dispersons-nous !!! Nous nous retrouverons dans la vallée d’Alterac, là où s’est réfugié le clan Frostwolf, l’un de ceux qui n’ont jamais abandonné le combat. Et lorsque nous serons prêts… Nous reviendrons détruire ce qui reste de ces lieux maudits !!! ajouta-t-il en montrant la façade de la sinistre forteresse.
- Et pourquoi fais-tu confiance à cet humain ? demanda l’un des orcs en désignant Farfadet. Nous devrions le tuer comme les autres !!!
- Non, répliqua aussitôt Thrall en levant une main impérieuse. Cet homme a tout risqué pour nous sauver. Je ne permettrai pas qu’il lui soit fait le moindre mal. Par ses actions d’aujourd’hui, il nous a prouvé qu’une collaboration entre nos races est peut-être possible… Et je sais que le futur me donnera raison. »
Un murmure désapprobateur monta dans les rangs, mais pas un n’osa soutenir le regard brûlant de celui qui deviendrait le Chef de guerre de la Horde.
Ils n’eurent d’ailleurs pas le temps de tergiverser plus longtemps. Un cri d’alerte retentit parmi les Orcs.

Des troupes de l’Alliance venaient d’apparaître au sommet de la colline, un peu plus haut.
« Allez !!! hurla Thrall dans le tumulte. Dispersion !!! »
Tandis que les Orcs obéissaient à l’ordre avec rapidité, Thrall posa la main sur l’épaule de Looping.
« Viens, mon frère, dit-il. Nous devons… »
Mais l’orc, qui portait toujours Gorghotha dans ses bras, secoua la tête. Thrall se figea sur place, étonné.
« Non, répondit Looping. Nos routes se séparent ici, Thrall. Je dois protéger cet enfant. Sa place n’est pas dans la lutte des Frostwolf.
- Que dis-tu là, frère ? s’écria Thrall. Que comptes-tu faire ???
- Tout simplement le mettre à l’abri, répondit Looping en haussant les épaules. N’aie crainte, ami, ajouta-t-il, le regard indéchiffrable sous la visière de son casque. Nos routes se croiseront à nouveau, j’en suis sûr. »
Se retournant vers Farfadet, en laissant Thrall muet d’étonnement et d’incompréhension, Looping dit enfin :
« Seigneur Zverenhoff… Je sais que nous pouvons avoir confiance en vous. Protégez Thrall… Terminez ce que vous êtes venus faire en ces lieux. »

Depuis qu’il l’avait rencontré dans ce temps, Farfadet était certain que Looping leur cachait quelque chose.
Ce sentiment ne fit que se renforcer lorsqu’il vit, éberlué, Looping lui adresser un léger clin d’œil.

D’un seul coup, le guerrier eut l’étrange l’impression que son vieux frère d’armes savait parfaitement que Farfadet n’avait que l’apparence d’un humain.

S’étant séparés de Looping et des autres Orcs, Thrall et Farfadet coururent à travers bois à toute allure, en direction de l’Ouest. Heureusement, ils semblaient avoir semé leurs poursuivants, qui avaient été pris de court par l’éparpillement subit des évadés. Les soldats, habitués aux manœuvres militaires ordonnées, avaient ainsi perdu quelques précieuses minutes avant de se lancer à leur poursuite, leur permettant ainsi de prendre une confortable avance.

« Où allons-nous ? » lança Thrall, qui suivait Farfadet à un rythme soutenu. Visiblement, les combats auxquels l’orc avait été forcé de prendre part avaient fait de lui un redoutable combattant, puissant et endurant.
« Nous devons rejoindre Southshore, répondit Farfadet sur le même ton.
- Southshore ??? s’écria Thrall en freinant brusquement. Es-tu devenu fou ? Ou est-ce un piège ??? »
Farfadet s’arrêta lui aussi, et se retourna vers son compagnon.
« Seigneur Thrall, commença-t-il. Ecoutez-moi… Il se passe ici des choses qui… »
Un grondement sourd l’interrompit. Au-dessus d’eux, le ciel devint subitement noir. Des éclairs zébrèrent les nuages qui se mirent à tourbillonner.
Une voix horriblement discordante résonna dans l’air, tel un murmure sombre et menaçant. Farfadet en eut froid dans le dos.
« Vous arrivez bien trop tard… »

Thrall, tous ses sens à l’affût, se tourna vers Farfadet. La méfiance n’avait pas quitté son regard, mais ses sens exercés avaient compris le danger.
« Je ne sais pas ce qui se passe ici… Mais le propriétaire de cette voix ne nous veut aucun bien. Guide-moi. Dépêchons-nous. »

Looping courait à en perdre haleine, épuisé, portant du mieux qu’il pouvait le jeune Gorghotha qui sanglotait toujours silencieusement d’avoir vu sa mère perdre la vie.
Le guerrier, sous son casque, versait silencieusement les mêmes larmes amères d’avoir vu périr si tragiquement l’épouse d’Herzegor… Mais jamais il n’avait été plus résolu de tenir la promesse qu’il avait faite à celui-ci.
Il était néanmoins rassuré sur un point : avec « Zverenhoff », Thrall avait un puissant protecteur. Tout allait se passer pour le mieux, il en était convaincu… Et comme il l’avait dit, avec Thrall, c’était la Horde elle-même qui renaissait de ses cendres. Enfin, son peuple avait trouvé celui qui le conduirait à la gloire… Et à la paix à laquelle Looping aspirait tellement.

Pourtant, il se sentait mal à l’aise. Ses sens aiguisés par de nombreuses années de combat lui criaient qu’il y avait quelque chose d’anormal.

Il se sentait épié.

Un bruissement dans les fourrés sur sa droite attira son attention… Et Looping, s’arrêtant net, grimaça intérieurement en voyant un vortex s’ouvrir et une gigantesque créature en surgir soudain pour lui barrer la route.

Un Dragon.

Gorghotha hurla de peur et se cacha les yeux en gémissant. Looping, comprenant instinctivement que l’enfant était déjà en état de choc, le couvrit de ses bras, lui épargnant la vue de l’impensable spectacle qui s’offrait à leurs yeux.

Ce n’était pas la première fois que le guerrier croisait la route des créatures draconiques. Loin s’en fallait !
Pour tout dire, il souhaitait à présent les côtoyer le moins possible…
Mais le destin semblait en avoir décidé autrement.

Toutefois, nota-t-il immédiatement, cette créature ne ressemblait en rien à ceux qu’il avait déjà eu le malheur de croiser.
Les écailles noires et luisantes du monstre avaient un aspect étrangement flottant et vaporeux, comme enveloppés d’une brume sombre et diffuse. Il déploya ses longues ailes en fouettant sèchement l’air, et le guerrier nota avec stupéfaction qu’il voyait au travers. Et lorsqu’enfin, la créature ouvrit la gueule pour lui parler, Looping entendit avec un frisson une langue qui lui semblait anormalement déformée par de bizarres échos inexpliqués.
Comme si son adversaire était en face de lui… Sans l’être vraiment.

« L’anomalie… siffla le dragon de sa voix de sa voix discordante. C’était donc ça… »

Looping ne répondit pas. Il déposa précautionneusement Gorghotha, toujours recroquevillé, sans quitter le monstre des yeux, en s’assurant de faire de son corps le meilleur rempart pour l’enfant.

« Qu’es-tu ? demanda Looping en continuant à fixer son adversaire.
- Cela ne te sera d’aucune utilité, mais sache que mon nom est Aeonus, du Vol Infini, répondit le dragon.
- Qu’est-ce que tu veux ?
- Terminer ce qui a été initié en ces lieux, répondit le monstre en le toisant avec un sourire cruel.
- Laisse-le partir, dit Looping en désignant Gorghotha. C’est un enfant, cela ne le concerne pas !
- Cela le concerne bien plus que tu ne peux le penser. » rétorqua le monstre en levant ses griffes, prêt au combat.

Looping dégaina son épée et se mit en garde, attendant l’assaut de la bête.

Subitement, une violente douleur lui vrilla le bras droit. Baissant les yeux sur celui-ci, le guerrier y découvrit avec stupéfaction la profonde balafre sanglante qui venait de s’y ouvrir.
Etouffant un cri de douleur tout en relevant les yeux vers son adversaire, il comprit à l’air satisfait du monstre que c’était bien lui qui était l’auteur de cette blessure.
« Inutile de résister, dit calmement le dragon d’une voix lourde de menaces. Même toi, tu n’as aucune chance. »

Sans répondre, l’orc redressa son arme et défia son ennemi des yeux.
Après un instant, Aeonus ferma les yeux et secoua la tête en souriant d’un air cruel.
« L’espoir, commenta-t-il. La plus pathétique des faiblesses des mortels. »

[Southshore]

Enfin, Thrall et Farfadet débouchèrent dans l’allée principale de Southshore, hors d’haleine. Derrière eux, le ciel n’avait fait que s’obscurcir. Farfadet sentait montait un étrange malaise en lui, comme si une présence malveillante l’avait suivie en ces lieux. Thrall l’avait suivi sans un mot, mais son silence montrait son inquiétude grandissante face à cette force malfaisante à leurs trousses.

Poursuivis par cette étrange menace, Farfadet avait oublié toute prudence et s’était ouvertement rué dans le village, oubliant que celui qui l’accompagnait, lui, n’avait pas l’apparence d’un humain.
Maudissant son imprudence, il se prépara mentalement à devoir bousculer quelques gardes pour rejoindre Chromie et Erozion.
Quelle ne fut pas sa surprise de constater que les habitants de Southshore étaient figés, immobiles, comme paralysés !

Il n’eut cependant pas le loisir d’étudier bien longtemps la question.

Chromie se matérialisa soudain auprès de lui dans un craquement sonore. Elle était accompagnée de deux nouveaux personnages, un petit garçon et un elfe, qui étaient vêtus des mêmes habits ornés que Chronormu. D’autres Gardiens du Temps, comprit immédiatement Farfadet.
Thrall ouvrit des yeux éberlués. « Quelle est cette magie ??? s’exclama-t-il.
- Farfadet !!! Enfin te voilà ! Et tu as réussi !!! dit la gnomette avec un soulagement visible.
- Que se passe-t-il ici ? demanda Farfadet sans attendre. Qu’est-ce qui est arrivés aux habitants ?
- Nous avons dû bloquer la zone, répondit immédiatement Chromie. Zaladormu et Arazmodu, ajouta-t-elle en désignant ses deux compagnons qui s’inclinèrent rapidement, peuvent neutraliser les impacts temporels dans une zone donnée. Regardez. » ajouta-t-elle de désignant le ciel.
En plissant les yeux, Farfadet et un Thrall muet d’étonnement découvrirent une bulle dorée qui scintillait doucement dans l’air. Elle recouvrait l’ensemble du village, et tous ceux qui se trouvaient sous la bulle étaient effectivement paralysés. Farfadet vit même, un peu plus loin, hors de la bulle, un troupeau de vaches qui broutaient paisiblement dans la pâture voisine.

« D’ici, reprit la gnomette, nous pourrons organiser… »

La sinistre voix que Farfadet et Thrall avaient déjà entendue parla à nouveau, du même ton lugubre, interrompant Chromie comme si elle l’avait giflée.
« Vous voulez déjà nous quitter ? »

Tous dressèrent l’oreille en entendant ces paroles, fouillant tout autour d’eux pour en trouver l’origine.
« Ils ont finalement décidé de passer à l’attaque directement… murmura Zaladormu. Votre Altesse, que devons-nous… »

Il fut à son tour interrompu par un frémissement de la bulle au nord, non loin d’eux.

Avec surprise, les compagnons virent entrer dans la zone protégée par la bulle un homme que Thrall reconnut aussitôt. Et pour cause !
La veille, c’était ce visage qu’il avait vu dans le miroir qu’Erozion lui avait tendu pour lui montrer l’apparence dont il l’avait doté depuis leur entrée dans ce segment temporel…
« Nicholas Zverenhoff… » murmura-t-il.

Le Duc, de son côté, ne prêta pas tout de suite attention au groupe hétéroclite qui se tenait devant l’auberge. L’homme avait été stupéfait, en entrant dans le village, de constater subitement que tous ses habitants semblaient pétrifiés par il ne savait quelle magie.
« Qu’est-ce que… » commença-t-il.

Aux côtés de Farfadet, ce fut soudain Chromie qui gémit. Farfadet tourna le regard vers elle et croisa un regard plein de remords.
« Je suis désolée, Farfadet. » murmura-t-elle avec un geste de la main.
Le guerrier ressentit une étrange sensation, et se tourna vers Thrall qui le considérait d’un air encore plus stupéfait qu’auparavant.
Regardant ses mains, redevenues vertes comme à sa naissance, Farfadet comprit que Chromie venait de lui enlever son déguisement magique.
« J’aurais voulu que cela se passe autrement, mon ami, continua la gnomette en secouant la tête d’un air désolé.Je t’avais dis que le prix à payer serait élevé… J’aurais voulu que cela se passe moins brutalement, mais je n’en ai pas eu le temps.
- Qu’est-ce que… » commença Thrall, ébahi.
Farfadet garda le silence et rendit à Chromie son regard douloureux. Il venait de comprendre.
« Ivy est tombée amoureuse du Duc Zverenhoff… reprit Chromie. C’était le seul moyen. Fort heureusement, je peux manipuler son esprit bien plus profondément que celui de ton épouse. Je vais lui donner tes souvenirs de votre rencontre… et il va prendre ta place dans le cœur d’Ivy. Car il faut que s’accomplisse l’Histoire… Je suis sincèrement navrée, Farfadet. »

De son côté, Zverenhoff s’était aperçu de la présence du groupe au beau milieu du village, et s’adressa à eux.
« Hé là, vous ! dit-il, méfiant. Que se passe-t-il ici ??? »
La présence d’Orcs parmi ses vis-à-vis ne semblait pas le perturber outre mesure. Le Duc, se rappela Zverenhoff, était connu pour son étonnante tolérance envers ceux que ses congénères appelaient les « Peaux-Vertes ».

Les yeux de Chromie se mirent à luire.
Le Duc se figea un instant, bouche ouverte, comme s’il avait été frappé par la foudre. Puis il se reprit.

A ce moment précis, Erozion fit son apparition sur le seuil de l’auberge. Farfadet nota distraitement qu’il avait lui aussi repris son apparence d’elfe, et portait les mêmes ornements étranges que ses congénères du Vol de Bronze. Il affichait, tout comme eux, un air particulièrement catastrophé.
« Votre Altesse… commença-t-il.
- Est-elle en sécurité ??? coupa Farfadet à l’intention de l’elfe. Ivy est-elle partie d’ici ??? »

L’intéressé n’eut pas à répondre.
Juste derrière lui, ce furent non seulement Ivy, mais également son ami le mage Zacharias qui sortirent à leur tour de l’auberge.
Tous deux parurent extrêmement surpris de découvrir cet étrange groupe d’humanoïdes comprenant deux orcs, arborant des mines aussi sombres au milieu d’une assistance paralysée par quelque magie.

« Qu’est-ce que… commença Ivy.
- Attention, Ivy !!! » cria Zacharias, alarmé par la présence de Thrall et Farfadet. Il leva la main pour commencer une incantation… Mais lui aussi s’interrompit subitement, stupéfait de découvrir les rayonnements arcaniques inconnus qu’avaient utilisé les Gardiens du Temps.

« Oh, non… gémit Erozion.
- Pourquoi est-il libre de ses mouvements, Erozion ? lui demanda vivement Chromie.
- Je ne sais pas, répondit l’elfe, l’air désespéré. Sans doute était-il trop proche d’Ivy lorsque la sphère de Zaladormu et Arazmodu est apparue… »

« Que se passe-t-il ici ??? demanda Zverenhoff, qui s’était rapproché des autres pendant l’intermède. Qui êtes-vous ? Quelle est cette magie ???
- Je ne sais pas ce que c’est… » commença Ivy. Elle s’approcha lentement de Zverenhoff, avec un coup d’œil extrêmement méfiant à l’attention de Thrall et de Farfadet. « Et que font des Orcs ici ??? s’exclama-t-elle.
- Je vais tout vous expliquer, commença Chromie. Il y a… »

La voix maléfique résonna à nouveau.
« Quelle touchante réunion de famille. Vous nous facilitez vraiment la tâche. »

Au sourd grondement qui résonna alors, tous comprirent que le propriétaire de la voix avait finalement décidé de se montrer.


Sous leurs yeux horrifiés, une faille jaunâtre s’ouvrit dans le ciel, et un gigantesque dragon aux écailles sombres et vaporeuses en surgit. Ses longues ailes membraneuses semi-transparentes fouettaient l’air, brassant une brume froide qui semblait émaner du monstre lui-même. En voyant la menaçante créature se tourner vers eux, tous ressentirent un frisson leur parcourir l’échine. Rien que de regarder cet être qui ne semblait pas tout à fait présent dans leur dimension leur provoquait de désagréables nausées.

Le monstre toisa les compagnons d’un air cruel, avant de parler :
« Enfin vous voilà tous. J’aurais préféré en finir avec tout cela de manière un peu plus subtile, mais vos efforts n’auront abouti qu’à provoquer une confrontation directe entre nous. Peu importe ! Ton futur, Thrall, ne s’accomplira pas… Tu vas mourir ici et maintenant, et tous tes compagnons trouble-fête subiront le même sort !!!
- Qu’est-ce que… mon futur ? demanda Thrall, alarmé. Qu’est-ce que tu veux dire, monstre ? Qui es-tu ??? Pourquoi es-tu ici ???
- C’est un Agent du Vol Infini, dit sombrement Chromie en fixant leur adversaire. Il est ici pour empêcher que le cours du temps s’accomplisse.
- Le quoi ??? » s’étrangla l’orc, stupéfait.
A ses côtés, Ivy, Zverenhoff et Zacharias, ayant pour l’heure totalement oublié leurs différents raciaux devant la menace, semblaient eux aussi totalement déboussolés.

Leur adversaire sourit méchamment en regardant Chromie, puis secoua la tête avec un rire méprisant.
« Ainsi, je constate que vous n’avez toujours pas compris, Gardiens. Tant pis pour vous ! s’exclama-t-il. Vos pitoyables tentatives n’ont fait que retarder l’inévitable. Tremblez devant la colère d’Epoch, le Chasseur du Temps !!! »

Soudain, de nouvelles failles plus petites s’ouvrirent un peu partout autour du petit groupe. Les malheureux compagnons virent avec horreur d’autres drakes du Vol Infini en surgir, jusqu’à les encercler complètement.
D’instinct, Farfadet, Thrall et Zverenhoff se mirent en posture de combat autour des Gardiens du Temps, d’Ivy et de Zacharias, offrant ainsi le meilleur rempart possible aux lanceurs de sort face à cette nouvelle menace.
« Ca se complique… » murmura Chromie entre ses dents.

Du ciel, Epoch contemplait la scène avec satisfaction.
« Eliminez-les !!! » tonna-t-il subitement.

La progéniture du Vol Infini se rua sur eux.

[Forêt d’Alterac]

Looping, vif comme l’éclair, se rua à l’assaut d’Aeonus, notant cependant que le monstre restait complètement immobile en le regardant approcher.
D’un large mouvement du bras, le guerrier voulut trancher en deux son adversaire… Mais sa lame ne rencontra que le vide. D’un seul coup, Aeonus s’était tout simplement volatilisé. Emportée par son élan, l’épée heurta violemment le sol en labourant la terre, faisant remonter un choc vibrant dans le bras déjà blessé de l’orc. Déséquilibré, Looping parvint cependant à rester debout et se remit aussitôt en posture de combat, cherchant des yeux son ennemi.
« Ici. » résonna l’étrange voix du dragon derrière lui.

Se retournant d’un bond, l’orc découvrit avec horreur son adversaire surplombant de toute sa taille l’infortuné Gorghotha, toujours en position fœtale, les mains sur les yeux et les oreilles. Aeonus toisait Looping d’un air à la fois amusé et blasé.
« Ne devais-tu pas le protéger ? » demanda-t-il, sadique, en levant au-dessus de l’enfant une patte menaçante.
A nouveau, Looping agit par pur réflexe. Il lança son épée, qui fila droit vers la gueule de la créature. Celle-ci regarda un instant l’arme qui fonçait vers lui, et, sous les yeux écarquillés de Looping, se volatilisa à nouveau pour réapparaître plusieurs mètres sur la droite, heureusement hors de portée de Gorghotha.
« Tu m’ennuies. » dit-il simplement.

Soudain, deux nouvelles entailles profondes s’ouvrirent dans les cuisses de Looping, qui étouffa à nouveau un cri étranglé. Le sang gicla en gerbes autour de lui, tandis qu’une atroce douleur lui paralysait les jambes. Il tomba à genoux, mais tenta aussitôt de se relever. En réponse, deux autres tranchées sanglantes lui labourèrent les épaules, le projetant avec violence sur le dos, à bout de souffle.
« Tu te demandes sans doute comment je peux te toucher, de cette manière, sans même me déplacer, dit Aeonus d’un ton presque rêveur de son étrange voix. La réponse est simple, guerrier. Nous, membres du Vol Infini, pouvons altérer le cours du Temps autour de nous. »
Looping écarquilla les yeux. Impossible ! Ce pouvoir… ne pouvait…

« Ton entêtement est ridicule, reprit Aeonus, regardant avec arrogance son adversaire pourtant terrassé, mais qui refusait d’abandonner le combat. Je peux me mouvoir à une vitesse que ton esprit ne peut même pas imaginer. Abandonne ! Ne comprends-tu pas ce que nous cherchons ? » continua-t-il tandis que Looping essayait une fois encore de se relever en serrant les dents.
Agacé, le dragon leva une nouvelle fois la patte en toisant Looping avec mépris. L’orc sentit s’ouvrir sur son torse deux nouvelles blessures en croix, et il s’effondra à nouveau, face contre terre.
« Ne le vois-tu pas, guerrier ? demanda-t-il à nouveau. Nous sommes le futur… Votre futur ! »
Après un moment, Looping redressa péniblement la tête.
« Comment… Comment est-ce possible ? Tu n’es… pas… murmura-t-il.
- Toute résistance est futile, guerrier, répondit Aeonus. L’heure est enfin venue de réduire en miettes l’Horloge des Temps !!! Personne ne peut arrêter le Vol Infini ! Personne !!! » s’exalta-t-il subitement… avant de retomber dans le calme glacé et méprisant qu’il arborait depuis le début du combat lorsqu’il vit une nouvelle fois Looping se relever. L’air hautain et cruel du dragon refit surface sur son visage en croisant la lueur de défi dans les pupilles de l’orc.

Aeonus, sûr de sa supériorité, n’en revenait pas. Pourquoi autant d’entêtement ? Le sang ruisselait par toutes les pores de la peau de l’orc, et pourtant il continuait à se relever, sans accepter sa défaite !
Quel dommage, songea-t-il.
Il aurait pu être tellement plus qu’un simple mortel !!!

Mais il fallait se rendre à l’évidence : il ne cèderait pas.
Il leva à nouveau la patte pour en finir.

[Southshore]

La bataille faisait rage dans la bulle temporelle de Southshore depuis plusieurs minutes.

Farfadet et Thrall luttaient côte à côte contre six ou sept adversaires à la fois, qui ne semblaient que très légèrement affectés par les terribles attaques que leur portaient les deux orcs. Tous deux couvraient de leur mieux Chromie, dont les yeux flamboyaient à présent d’une lueur dorée surnaturelle. La gnomette-dragon déchaînait contre les assaillants des tornades d’un air chargé d’un sable étrange, qui semblait décomposer à grande vitesse les drakes qui avaient le malheur d’être frappés par ses attaques jusqu’à ce qu’il ne reste d’eux qu’un peu de poussière.

Un peu plus loin, Erozion était posté entre Zaladormu et Arazmodu qui s’escrimaient à le protéger en enfermant leurs propres assaillants dans d’autres petites bulles temporelles qui les figeaient totalement.
L’elfe, les mains jointes, canalisait des faisceaux de lumière alternativement blanche et noire, tandis qu’il psalmodiait une étrange litanie dans une langue inconnue. Les rayons qui jaillissaient de ses doigts enveloppaient ses protecteurs, et certains fusaient même jusqu’aux autres compagnons. Frappé par un jet de lumière, et se sentant soudain empli d’une force nouvelle, Farfadet comprit qu’Erozion s’appliquait à redonner force et puissance à ses alliés.

Malgré le tumulte du combat, le guerrier n’avait pas perdu des yeux sa douce Ivy. Mais les assauts répétés des innombrables drakes l’avaient séparé d’elle. Zverenhoff et Zacharias, par contre, avaient réussi à rester à ses côtés, et formaient avec elle le troisième groupe compact qui s’acharnaient à abattre les sbires du Vol Infini. Zverenhoff, bien que déjà grièvement blessé, faisait toujours rempart de son corps à ses deux compagnons sans céder un pouce de terrain. Dans ses yeux se lisait la résolution sans faille de ne pas laisser Ivy (sa future épouse, continuait à marteler le cœur de Farfadet à son esprit) sans défenses face à l’ennemi.
Derrière le paladin, la jeune magicienne déchaînait une véritable tempête de flammes sur leurs adversaires, tandis que Zacharias les transperçait de fins traits de glace précis et meurtriers.

Farfadet, mû par un réflexe surhumain, baissa subitement la tête pour éviter un coup de griffe qui l’aurait décapité.
Il était maintenant certain d’une chose qui ajoutait encore à son désespoir : l’artifice de Chromie avait fonctionné. Zverenhoff était bien bel et bien tombé amoureux de la jeune fille, comme s’il avait vécu les évènements de la nuit précédente… et il ferait tout pour la protéger. Comme Farfadet lui-même l’avait toujours fait depuis qu’il avait rencontré la belle démoniste.
La morsure acide de la jalousie lui brûlait les entrailles, lui qui, par son entêtement à vouloir abattre Nefarian, avait involontairement conduit son épouse à se sacrifier pour sauver ses compagnons. Il comprit que les seuls moments heureux de son existence, c’était avec Zverenhoff qu’Ivy les passerait… Même si, au départ, c’était de Farfadet qu’elle était tombée amoureuse sans le savoir.

Un cri de détresse derrière lui attira brutalement son attention.
Zverenhoff était tombé.

Ivy et Zacharias, acculés dos à dos, contemplaient avec inquiétude les drakes regroupés autour d’eux, les encerclant totalement. Juste devant eux, Nicholas gisait à terre, encore conscient mais incapable de se relever. Il continuait cependant à essayer de se redresser, épuisé. Dans son regard, Ivy lisait le courage et la résolution d’un homme qui n’abandonne jamais, l’une des nombreuses choses qui avaient immédiatement fait chavirer son cœur la veille. Les drakes de l’espèce inconnue dont avait parlé cette étrange gnome aux pulsations arcaniques si bizarres s’étaient totalement désintéressés du paladin, ce qui, quelque part, rassurait Ivy. Elle ne laisserait personne faire du mal à cet homme… Et les créatures qui l’avaient envoyé à terre gisaient à présent elles aussi au sol, privées de leur vie.
« Ca s’annonce mal, dit-elle entre ses dents.
- Je ne te le fais pas dire, répondit Zacharias.
- As-tu une idée de ce qui se passe ici ? lança-t-elle.
- Non, répondit le mage. Je n’ai jamais entendu parler de créatures pareilles. Mais il y a plus urgent pour l’instant.
- Génial… Bon, alors à défaut : as-tu une idée de ce que nous pourrions faire ? reprit la magicienne, tandis que les drakes se rapprochaient, menaçants.
- Qu’est-ce que je t’ai appris pas plus tard que la semaine dernière ? » demanda vivement Zacharias.
Ivy se figea un instant. Puis, ses yeux s’illuminèrent.
« Tu veux dire…commença-t-elle.
- Oui, Ivy. Le meilleur moyen d’abattre une armée… »
Les regards perçants d’Ivy et de Zacharias se tournèrent brutalement vers Epoch, qui surplombait toujours la scène, se réjouissant de la détresse de ses adversaires.

« C’est d’en abattre le maître !!! » s’écrièrent-ils à l’unisson.
Zacharias tendit la main gauche en direction du monstre, faisant jaillir de sa paume un rayon de glace qui fusa en direction du Dragon. Dans le même temps, Ivy, dos à lui, faisait jaillir de sa main droite une vague de flammes qui s’enroula subitement en spirale autour du trait de son ami.
Soudain, l’énergie de leur tir combiné parut tripler d’intensité.
« Qu’est-ce qui se passe ??? s’écria Ivy, stupéfaite, au milieu de la bourrasque de vent déclenchée par leur projectile magique.
- Ne t’arrête pas, Ivy ! » répondit Zacharias sur le même ton, tandis que leur attaque filait droit sur Epoch.
Le Dragon, médusé, regarda le rayon d’énergie fondre sur lui.
« Qu’est-ce que… » commença-t-il, avant que le rayon surpuissant ne l’enveloppe dans une gigantesque explosion.

Tous, alliés des Gardiens du Temps comme créatures du Vol Infini, avaient suivi la scène avec ahurissement.
Erozion arrêta un instant ses incantations, stupéfait par le spectacle qui se déroulait sous leurs yeux.
« Incroyable… murmura-t-il pour lui-même. Ils ont recréé le Givrefeu… »
Puis, revenant de sa surprise, il se hâta de reprendre ses incantations. Bientôt, au grand soulagement de Farfadet, Zverenhoff se redressa lentement.

Lorsque la fumée de l’explosion se dissipa dans le ciel, Epoch s’était volatilisé.
Pendant un instant, les drakes du Vol Infini se figèrent… Puis ils devinrent translucides et se volatilisèrent en une seconde, comme s’ils n’avaient jamais existé, tels des bulles de savon qui éclatent.

Pas encore revenus de leur surprise, les compagnons se rapprochèrent d’Ivy et de Zacharias.
La jeune fille, essoufflée et ne comprenant toujours pas ce qui s’était passé, était tombée à genoux. Zverenhoff, malgré la douleur, se précipita pour la relever.
Elle regarda Zacharias et murmura d’une voix faible :
« Qu’est-ce que… Qu’est-ce que tu as fais ? »
Le mage, hors d’haleine lui aussi, eut un léger sourire.
« Comprends-tu, maintenant…, haleta-t-il, pourquoi il te faut apprendre… les autres écoles de magie ? Les éléments… peuvent être fusionnés, Ivy… Et peuvent donner naissance à des magies… bien plus puissantes…
- Qu’est-ce que c’était ? demanda la jeune fille.
- Le Givrefeu, Ivy… répondit Zacharias avec un sourire épuisé. La fusion… des Flammes et du Froid. »

Ivy se releva, fascinée malgré elle.
Thrall se tourna vers Chromie.
« Et maintenant, j’aimerais que l’on nous explique ce qui se passe ici ! » dit-il fermement.

Tous se tournèrent vers la gnomette. Mais Farfadet s’alarma en constatant que l’air sombre et préoccupé de Chromie ne l’avait pas quitté.
« Ce sera pour plus tard, répondit-elle sombrement.

Ce n’est pas fini. »

Un ricanement étrange résonna dans l’air. Un rire sinistre et guttural, qui leur glaça le sang.

« Exact. » dit la voix d’Epoch.

Soudain, aussi vite que les drakes s’étaient volatilisés un instant plus tôt, un gigantesque drake armé d’une monstrueuse faux aux reflets noirs se matérialisa près d’eux. Avant même qu’ils n’aient eu le temps de faire le moindre geste, la bête fit décrire un large arc de cercle à son arme, qui termina sa course plantée dans la poitrine d’Arazmodu, qui sous le choc écarquilla les yeux. Le sang jaillit brutalement dans son dos, aspergeant Zaladormu et Erozion.
D’une secousse, la créature se débarrassa du corps du Gardien du Temps empalé sur son arme. Arazmodu était mort avant de toucher le sol.

« Qu’est-ce que c’est que ça ??? s’écria Ivy.
- Ce n’est pas très gentil de ne pas me reconnaître, jeune fille, ricana le monstre. Surtout après ce que vous venez de me faire… J’ai décidé de me charger de vous personnellement.
- Un polymorphe ??? s’écria Erozion. Mais…
- Nous pouvons manier le temps, Gardien, coupa Epoch en tournant vers lui son regard jaunâtre. Manipuler les apparences est donc pour nous un jeu d’enfant. Mais rassurez-vous, mes amis, ajouta-t-il avec un ricanement sinistre. Je vais vous montrer toute l’étendue de mon pouvoir. Malheureusement, vous ne serez plus en vie pour en témoigner, lorsque j’en aurai fini avec vous. »
Après un instant, il jeta un coup d’œil vers le ciel autour de lui, puis ajouta d’un air satisfait :
« C’est bien ce que je pensais. Voyons comment vous allez pouvoir maintenir l’intégrité de votre bulle, maintenant que l’un de ses créateurs est mort !!! »
Horrifiés, les Gardiens du Temps, s’aperçurent en effet que la bulle temporelle qu’avaient créée Arazmodu et Zaladormu commençait à s’estomper.
« Il faut absolument maintenir la sphère ! cria Erozion, horrifié. Nous devons…
- Parce que vous croyez que je vais vous laisser faire ? » demanda doucement le Dragon d’une voix mielleuse.

[Forêt d’Alterac]

Subitement, Looping parla, d’une voix étonnamment puissante malgré son état, mais en même temps pleine de douceur.
« Gorghotha, dit-il. Relève-toi, et va te cacher. Je vais m’occuper de ce monstre. »
Le dragon, d’abord stupéfait de l’audace de son adversaire, resta muet d’étonnement lorsque l’enfant, comme s’il ne voyait même pas la terrible créature, se releva docilement et partit en courant.
« Tu ne manques pas d’audace, guerrier, ricana Aeonus en regardant Gorghotha s’éloigner, amusé. Crois-tu vraiment que je vais le laisser fuir ?
- Tu n’auras aucun mal à le retrouver, une fois que tu te seras débarrassé de moi, répondit Looping d’une voix glacée. Si tu y arrives, ajouta-t-il lentement.
- Si j’y… commença Aeonus, avant d’éclater d’un rire sadique. Pauvre idiot ! Tu crois toujours avoir la moindre chance contre moi ??? » tonna-t-il.

Looping enleva son casque, et regarda le dragon droit dans les yeux.
Une nouvelle attaque lancée par Aeonus ouvrit violemment une entaille sur son front, projetant une nouvelle gerbe de sang dans l’air. Mais même l’atroce douleur ne put empêcher un sourire d’apparaître sur son visage.
« S’il y a une chose dont j’ai horreur, c’est de ne pas pouvoir rendre les coups que l’on me donne, dit-il tandis que le sourire s’élargissait, en essuyant le sang qui maculait à présent son visage. A présent, j’en sais assez. Tu ne m’es plus d’aucune utilité.
- Qu’est-ce que… Qu’est-ce que tu dis ??? rugit Aeonus, blême de rage, décontenancé malgré lui par l’assurance qui se dégageait soudain de son adversaire. Que crois-tu pouvoir faire, désarmé ? »

Looping leva les mains, paumes ouvertes vers le ciel, comme s’il attendait quelque chose.
« Tu vas découvrir à tes dépends que je suis bien plus qu’une simple « anomalie », dragon, reprit Looping d’une voix sombre. Et si je sais que je vais te vaincre… »

Subitement, deux failles s’ouvrirent dans l’air, et sous les yeux médusés d’Aeonus, deux gigantesques épées jumelles, enveloppées de flammes, bleues pour l’une, vertes pour l’autre, se matérialisèrent dans les mains ouvertes de Looping.

« … C’est parce que je l’ai vu. » reprit-il.

Les deux longues lames qui venaient d’apparaître dans les mains du guerrier ne pouvaient être maniées à une main, et pourtant Looping entama avec elles une série de moulinets compliqués avec une aisance surnaturelle. Les armes semblaient un prolongement de ses bras, comme si elles faisaient partie de lui, laissant dans l’air de majestueuses traînées de flammes. Leur tranchant semblait fait pour fendre les montagnes.
« Les Destructrices des Mondes ??? s’étrangla Aeonus, qui refusait toujours d’en croire ses yeux. Mais c’est impossible !!! Comment…
- En garde, dragon, coupa Looping en se mettant en posture d’attaque. Fini de jouer, à présent. »

Dans ses yeux brûlaient les mêmes flammes que celles qui enveloppaient ses extraordinaires épées.

[Southshore]

Chromie réagit en un éclair. D’un seul coup, elle ne paraissait plus aussi chétive que son apparence le laissait supposer, songea Farfadet. Dans son ton de commandement sans équivoque, on identifiait sans peine l’une des dignes filles de Nozdormu, l’Aspect du Temps.
« Zaladormu ! cria-t-elle. Concentre-toi sur la bulle ! Je vais t’aider !!! Erozion ! Continue tes canalisations !!! Nous devons à tout prix maintenir l’intégrité de la sphère d’intervention !!!
- Inutile, répliqua le Dragon devant eux. Je ne vous laisserai pas faire ! Je vais…
- Pour te débarrasser d’eux, il faudra d’abord t’occuper de nous, Epoch. » dit la voix calme de Farfadet, qui interrompit la créature.
Avec surprise, le monstre vit s’avancer Farfadet, puis Thrall, Zverenhoff, Ivy et Zacharias, qui s’interposèrent entre lui et les Gardiens du Temps, qui grimaçaient déjà sous l’effort de concentration.
Epoch les toisa un moment avec haine, sans rien répondre. Puis il se mit à rire.
« Pauvres fous ! cracha-t-il. Vous ne comprenez même pas l’enjeu de ce combat ! Vous ne savez rien !!! Et vous oseriez croire que vous pouvez interférer dans un combat qui vous dépasse ??? »
Ce fut Thrall qui répondit.
« Peu importe notre compréhension des choses, Dragon, répondit-il avec le même calme que Farfadet. Tout ce que je sais, c’est qu’un être qui parle d’empêcher le futur de s’accomplir agit contre nature. De plus, j’ai une dette envers lui, ajouta-t-il en désignant Farfadet. Et puisque tu es son ennemi… tu es aussi le mien.
- Tes intentions sont mauvaises, je le sens, ajouta Ivy. C’est pour moi une raison plus que suffisante pour contrer tes agissements.
- Les mortels. Toujours aussi pathétiques, soupira-t-il d’un ton faussement peiné en brandissant à nouveau sa faux noire. De toutes façons, ajouta-t-il avec un haussement d’épaules, ce n’est pas comme si j’avais décidé de vous épargner. »

En un éclair, il se rua sur eux, faisant décrire un large cercle à son arme. Tous l’évitèrent aisément, mais là n’était pas le but du Dragon, comme tous le comprirent en voyant son sourire rusé. Soudain, le sol parut exploser sous leurs pieds, tandis qu’une explosion d’arcanes dispersait le petit groupe en tous sens. Zacharias, projeté directement contre le mur de l’auberge, s’y écrasa durement et perdit connaissance. Erozion, avec un cri affolé, se précipita à ses côtés pour tenter de le réanimer.
De leur côté, Farfadet, Thrall et Zverenhoff s’étaient rapidement redressés. Le Duc aida immédiatement Ivy, qui elle aussi avait été rudement projetée à terre, à se relever.

Thrall, avec un hurlement sonore, se rua sans attendre sur leur adversaire, épée à la main. Epoch le regarda fondre vers lui avec indifférence, et bloqua la lame de l’orc directement dans sa griffe.
Thrall, surpris, se figea un instant, et ne put rien faire lorsque, vif comme un serpent, son ennemi lui saisit directement le cou et le souleva brutalement de terre.
Il considéra un moment l’orc qui se débattait de plus en plus faiblement, tout en essayant de respirer.
« C’est ça, le futur Maître de la Horde ? murmura Epoch, presque étonné. Je ne le croyais pas si faible… ».
Ce faisant, et sans pour autant lui accorder la moindre attention, il repoussa distraitement Zverenhoff de l’autre main, qui lui aussi s’était rué à l’assaut du monstre pour secourir Thrall. Le paladin roula sur plusieurs mètres en arrière, le souffle coupé. Ivy poussa un cri d’angoisse.

Après un instant, un rictus de mépris se dessina sur le visage de la créature. D’une secousse, il se débarrassa de Thrall en le projetant droit devant lui. L’orc, qui avait perdu connaissance, s’effondra au sol dans un nuage de poussière et resta face contre terre, immobile. Erozion, les yeux emplis d’angoisse aux côtés de Zacharias qui commençait à se relever en gémissant de douleur, tendit sa main droite, crépitante d’énergie, vers le futur chef de guerre pour le soigner, tandis que la gauche continuait à scintiller au-dessus du mage toujours à terre.
Se désintéressant totalement d’eux, Epoch fit face à Chromie. Ses yeux brûlaient de haine lorsqu’il vit la jeune gnome-dragon qui, loin de reculer devant lui, lui tenait tête sans aucune peur dans le regard. Seule une intense concentration luisait dans ses yeux jaunes flamboyants. A ses côtés, Zaladormu était tombé à genoux et respirait péniblement. Lui non plus n’avait pas abandonné la lutte, mais il était au bord de l’épuisement malgré l’aide de sa sœur Chromie.
« Pourquoi insistez-vous ??? siffla Epoch en désignant de sa faux noire la bulle vacillante qui ne tenait plus que par la volonté de la Dragonne. Vous devez voir la futilité de tout ceci !!! Vous auriez pu rester en vie… Vous auriez dû partir tant qu’il en était encore temps ! Mais il est trop tard, à présent. Votre temps est écoulé, Gardiens !!! »

Chromie, qui maintenait la bulle de toute ses forces, bras écartés, redressa la tête et dit fermement :
« Le Vol de Bronze n’abandonnera jamais !!! »

Après un moment de silence, Epoch haussa à nouveau les épaules.
« Ainsi soit-il. Vous aviez été prévenus. »
Il claqua des doigts, et les drakes qui avaient disparu quelques instants auparavant réapparurent aussi soudainement qu’ils s’étaient volatilisés. Les traits d’Epoch se brouillèrent soudain, comme si l’on avait effacé un tableau noir. Après un instant, Epoch avait repris sa première apparence draconique. Il déploya ses longues ailes semi-translucides et s’éleva à nouveau dans les airs.
« J’ai voulu me charger moi-même de vous… Mais vous n’en n’êtes même pas dignes. » dit-il avec condescendance.

Les monstres encerclaient le petit groupe de combattants, menaçants, sûrs de leur victoire.
Farfadet, debout devant Zverenhoff en train de se relever, fixait leurs adversaires avec attention.
« Sauve-la. » dit-il simplement.
Le paladin, surpris, releva la tête.
« Quoi ? s’exclama-t-il.
- Sauve-la, répéta Farfadet sans se retourner. Emmène-la loin d’ici. »
L’homme se releva sans répondre. Puis, il demanda :
« Pourquoi ? Pourquoi te sacrifier pour elle, Orc ???
- Elle t’aime, répondit le guerrier, toujours sans te retourner. Vous devez vivre, ajouta-t-il simplement.
- Mais… Comment… commença Zverenhoff.
- Partez ! redit Farfadet. Je vais les retenir. ». Sa voix tremblait légèrement, mais Zverenhoff n’y entendait pas la moindre trace de peur. Cet orc leur cachait quelque chose, songea-t-il. Comment pouvait-il savoir que…
- Non !!! » s’exclama Ivy, derrière eux.
Surpris, les deux combattants se retournèrent pour dévisager Ivy, qui leur faisait face, larmes aux yeux, se désintéressant totalement de la menace autour d’eux.
« Je ne sais pas qui tu es, Orc, reprit-elle en regardant Farfadet, et je te remercie de te soucier autant de moi. Mais il n’est pas question que j’abandonne ce combat maintenant. Je ne laisserai jamais personne se sacrifier pour moi !!! »
Le sourire étrange, mélange de tristesse et de douceur, qui apparut un instant sur le visage de l’orc n’échappa pas à Zverenhoff.
« Je le sais, murmura-t-il, avant de reprendre plus fort : Mais je n’ai pas l’intention de mourir maintenant, Ivy.
- Ca tombe bien, répondit Zacharias qui s’était redressé, aidé par Erozion. Nous non plus. »

Comme s’ils n’attendaient que ce signal, les drakes se ruèrent à l’assaut.

[Forêt d’Alterac]

Ivre de rage à présent, et ne revenant pas de sa surprise, Aeonus toisait Looping de toute sa taille.
« Très bien, mortel, reprit-il. Même les Destructrices des Mondes ne suffiront pas à m’abattre ! Rien ne peut surpasser la puissance du Vol Infini !!!
- Cause toujours, et viens te battre. » dit doucement l’orc pour toute réponse.

Furieux, le Dragon se rua à l’assaut, accélérant d’un clignement de paupières le temps autour de lui, comme il l’avait fait jusque-là pour infliger les nombreuses balafres qui constellaient déjà le corps de son adversaire.

Aeonus s’était toujours senti à son aise dans cette configuration temporelle, même si elle aurait rendu fou la plupart des mortels. Sa perception du monde était bien différente, lorsqu’il utilisait ses pouvoirs. Certes, il ne pouvait pas complètement figer le temps, car c’était une prouesse que même le Maître du Vol Infini ne devait pas pouvoir maîtriser parfaitement. Toutefois, lorsqu’il se déplaçait en accélérant son temps, sa propre perception des choses s’en trouvait modifiée : elle lui donnait l’impression d’être entouré par un environnement quasiment immobile, alors que lui pouvait s’y mouvoir à vitesse normale.
Il s’approcha nonchalamment d’un Looping quasi paralysé, contemplant encore une fois les fantastiques armes que l’orc avait tirées du Néant, s’émerveillant involontairement de leur rayonnement étrange malgré sa fureur et son incompréhension. Comment un mortel pouvait-il manier ces armes ??? se demanda-t-il. Oh certes, il avait bien une vague idée de leur provenance, mais…
Décidément, songea-t-il en secouant la tête, ce « Looping » était une véritable énigme pour eux. Il était dommage de devoir se débarrasser de lui… Mais avec ce qu’il venait de découvrir, il n’était plus question pour Aeonus de le laisser en vie, ni même de s’amuser encore un peu avec lui. Il fallait en finir, et vite.
Terminées les petites entailles, songea-t-il en levant sa griffe en direction de la tête de l’orc. Cette fois-ci, il allait bel et bien le fendre en deux.

Il abattit sa griffe tranchante comme un rasoir sur la tête de Looping.
Le choc résonna bizarrement dans l’air de ce temps distordu.

[Southshore]

La situation s’était très rapidement dégradée pour Farfadet et ses compagnons. Tous se trouvaient à terre, à l’exception de Farfadet lui-même, toujours debout malgré d’innombrables blessures qui auraient dû le tuer plusieurs fois, et de Chromie, qui, tout en maintenant la bulle temporelle autour de Southshore, foudroyait les drakes qui avaient le malheur de vouloir s’en prendre à elle à coups d’éclairs jaunes.
Ivy elle-même, grièvement blessée à l’épaule, était tombée à genoux. Elle tentait de couvrir de son corps Zverenhoff, qui avait été littéralement cloué au sol par l’attaque simultanée de cinq des créatures. A côté d’elle, Zacharias avait lui aussi été abattu, et tentait sans succès de se redresser pour arrêter les monstres qui s’avançaient maintenant pour en finir avec la magicienne.
Farfadet, en un instant, se plaça devant Ivy pour la protéger. Son regard brûlait d’une résolution farouche. Seul contre dix, seul contre vingt, seul contre cent, peu importait. Jamais il ne laisserait périr Ivy.

Face à lui, les monstres s’étaient regroupés pour un dernier assaut.
Farfadet redressa son épée… Et se figea soudain, fasciné.

La lame de la Quel’Serrar resplendissait comme jamais. Les runes dont elle était gravée brûlaient d’une flamme verte, dessinant d’étranges motifs dans l’air.
Un sentiment nouveau s’était emparé de l’orc. L’harmonie.
Tout à coup, il avait l’impression de ne plus faire qu’un avec la lame elfique.
Dans le ciel, Epoch ouvrit un œil interloqué.
« Qu’est-ce que… » murmura-t-il.

Farfadet se rappela soudain les paroles du vieux Drek’Thar, son maître, lorsque celui-ci avait vu l’arme pour la première fois. Celui-ci avait considéré la lame avec un mélange de respect et d’inquiétude.
« Tu feras de grandes choses de cette arme, mon jeune élève, avait-il dit.
- Que voulez-vous dire, Drek’Thar ? avait demandé Farfadet.
- L’épée choisit son maître, et le maître choisit l’épée, avait mystérieusement répondu le maître d’armes. Cette lame a traversé les âges pour te trouver, et elle vivra de tes combats. A présent, vos destins sont irrémédiablement liés… Mais ce n’est que lorsqu’elle s’éveillera à toi, et que tu t’éveilleras à elle, que son véritable pouvoir se fera jour. »

Devant lui, les drakes du Vol Infini ne semblaient pas avoir perçu la menace. L’un d’entre eux, une créature de deux mètres de haut, se rua à l’assaut du guerrier.
Celui-ci, sans y penser, se mit en garde par réflexe… Et s’étonna soudain de voir son adversaire s’effondrer, tranché en deux. La Quel’Serrar semblait avoir agi d’elle-même, ôtant la vie de la créature en un souple arc de cercle mortel. Le monstre, les yeux écarquillés, s’effondra, incapable de comprendre comment le coup avait pu être si rapide.
Ses compagnons se figèrent soudain, stupéfaits. Dans le ciel, Epoch, cette fois, écarquilla les yeux.
« Comment ??? » s’exclama-t-il.

Toujours sans y penser, comme s’il s’agissait là de ses passes d’armes habituelles, Farfadet se rua à l’assaut de ses adversaires paralysés par la surprise. Avant qu’ils n’aient pu commencer à réagir, la lame avait déjà transpercé trois d’entre eux, avec les mêmes mouvements harmonieux qui avaient ôté la vie au premier une seconde auparavant. Farfadet se sentait extraordinairement agile, bondissant, virevoltant, volant presque au travers du groupe compact de drakes, qui tombaient l’un après l’autre sans pouvoir opposer de résistance.
Dérouté par ses propres réactions, et par la vie propre qui semblait animer sa lame, Farfadet jeta un regard vers ses compagnons, pour découvrir, devant Zacharias et Zverenhoff qui se redressaient, Ivy qui observait la scène, les yeux écarquillés, fascinée par l’envoûtant spectacle qui se déroulait devant eux. Ses yeux semblaient absorber chaque détail de la scène et de la chorégraphie étrange qu’exécutait le guerrier.
Et soudain, malgré les drakes qui continuaient à tomber l’un après l’autre sous ses coups, un souvenir atroce glaça le cœur de Farfadet.
Soudain, il sut où il avait déjà vu ce style de combat, qui ressemblait à une danse qui distribuerait la mort.
Oh, oui.
C’était Ivy elle-même qui le lui avait montré… Même si elle l’ignorait.
Car c’était la terrible Ivy aux yeux rouges qui avait ainsi dansé sous ses yeux cette danse sanglante, en ce funeste jour où elle avait massacré Démétria et ses troupes à la Main de Tyr.

Soudain, Farfadet réalisa que c’était lui-même qui, aujourd’hui, apprenait malgré lui à la chose qui vivrait un jour en Ivy ces extraordinaires passes d’armes, qu’elle réutiliserait plus tard contre ses infortunés congénères humains de la Croisade Ecarlate. Il fut pris de vertiges, tandis que sa lame continuait à distribuer la mort autour de lui.

En quelques instants, et en dépit de l’affreuse révélation qui venait de s’abattre sur Farfadet, tous les drakes du Vol Infini gisaient au sol, inertes. Leurs corps se volatilisèrent en un instant, jusqu’à ce qu’il n’en reste que quelques cendres. Derrière le guerrier, Zverenhoff, Thrall, Zaladormu, Erozion et Zacharias s’étaient tous relevés et contemplaient l’impensable spectacle, fascinés. Dans le ciel, Epoch n’en revenait pas non plus… Comme le guerrier lui-même.

Ce fut Chromie qui leur apporta la réponse qui leur manquait.

« Tu n’as pas compris, Farfadet ? résonna la voix vibrante de la Dragonne derrière lui. Ce qui a réveillé la lame millénaire de Quel’Serrar… C’est le Sang de Vaelastrasz qui brûle en toi !!!
Tu es l’Héritier du Vol Rouge !!! tonna-t-elle avec un étrange respect dans la voix. C’est à toi de protéger le monde !!! »

Plus haut dans le ciel, Epoch écarquilla les yeux.
« QUOI ??? rugit-il. C’EST IMPOSSIBLE !!! COMMENT PEUT-IL MANIER LA PUISSANCE DES ROUGES ??? »

Ce fut à nouveau Chromie qui lui répondit de la même voix, presque malicieuse :
« Peut-être auriez-vous dû vous concentrer sur le cours de l’Histoire, au lieu de vouloir l’altérer, Dragons. »
A côté d’elle, Zaladormu, contemplait la scène, figé d’étonnement malgré lui.
« L’Héritage des Rouges… C’est incroyable… » murmura-t-il, les mots lui manquant pour en ajouter plus.

[Forêt d’Alterac]

« Non !!!! s’étrangla Aeonus, stupéfait. C’est impossible !!! »

Le dragon, éberlué, contemplait sans arriver à y croire les lames jumelles de Looping, qui bloquaient la griffe menaçante qui aurait dû décapiter son adversaire.

« Tu ne peux pas… bouger à cette vitesse !!! » cria à nouveau le Dragon, incapable de concevoir qu’un mortel puisse se mouvoir de la même manière que lui.

Et pourtant, c’était la vérité : Looping bougeait sans difficulté, même dans le temps accéléré d’Aeonus.
Le guerrier ne répondit pas. Il se contentait de bloquer la patte du monstre, qui pesait pourtant de tout son poids sur lui. Sous la masse du monstre, les pieds de Looping s’enfoncèrent dans le sol avec un grondement sourd.

Après un instant, le guerrier repoussa le dragon, qui recula et se mit hors de portée en écumant de rage.
« Je te l’ai dis, Dragon, dit doucement Looping, en fixant son adversaire de ses yeux enflammés. Tu as déjà perdu.
- TAIS-TOI !!! » hurla le monstre en se ruant à nouveau sur le guerrier.

Cette fois, bien qu’il ait accéléré le temps comme il le faisait d’habitude, Aeonus vit distinctement que Looping bougeait normalement, même dans cet espace temporel altéré. L’incompréhension de ce phénomène ne fit qu’accroître sa rage, et lorsque les griffes du Dragon heurtèrent les lames de Looping, le Dragon rugit à nouveau de rage. Looping entama immédiatement une passe d’armes compliquée, lardant la créature de ses épées si vite qu’Aeonus ne put parer celles-ci. Le monstre poussa un mugissement de stupeur rageuse. Un instant plus tard, Looping se dégageait de la portée de son adversaire, laissant le Dragon furieux et toujours aussi désorienté.

Toutefois, ce fut au tour de Looping de déchanter quelque peu.
La pluie de coups qu’il venait de déclencher sur son adversaire n’avait eu aucun effet sur celui-ci.
Après un instant, tandis qu’Aeonus contemplait son corps indemne, le monstre éclata de rire.
« Tu vois, mortel !!! s’écria-t-il, triomphant. Même les Destructrices des Mondes ne peuvent rien contre moi !!! Et je vais te le prouver immédiatement !!! ».

Ce faisant, la créature poussa un hululement étrange et inhumain. Looping, surpris, se figea. L’air autour d’eux s’était chargé d’électricité, et s’était mis à tourbillonner en tous sens, faisant bruisser de manière sinistre la forêt environnante. Un bourdonnement sourd monta tout autour d’eux, devenant de plus en plus fort au fur et à mesure que le vent soufflait.
Distrait par ce spectacle inquiétant, Looping avait un instant perdu Aeonus de vue, pour mieux observer les alentours. Lorsqu’il posa à nouveau les yeux sur son adversaire, il comprit qu’il n’était plus temps de jouer.
Devant lui se tenait un gigantesque Dragon, presque deux fois plus grand que l’ancienne apparence d’Aeonus, qui n’avait non plus deux, mais quatre ailes menaçantes qui projetaient une ombre sinistre sur Looping. Son corps hérissé d’épines et de pointes acérées était parcouru d’éclairs noirs, pulsant d’une énergie malsaine et poisseuse.
Le Dragon le toisait de ses yeux aux pupilles devenues noires comme la nuit. Deux gigantesques cornes sombres avaient poussé sur sa tête, prêtes à fendre un arbre en deux.
« Contemple ma véritable apparence, mortel, siffla-t-il d’une voix aux échos encore plus déformés qu’auparavant. Looping, avec écœurement, entendait presque celle-ci grouiller, comme si quelque chose y pourrissait.
Contemple-la… et meurs. »

Looping se prépara à l’assaut du monstre… Mais celui-ci fut plus rapide que lui.

Beaucoup plus rapide, en réalité.
Looping le comprit lorsqu’il vit la griffe du monstre qui lui traversait la poitrine, avant même d’en ressentir la terrible douleur, et l’atroce sensation de perdre ses propres entrailles.

[Southshore]

https://www.youtube.com/watch?v=ZQ7fwti11RM
Theme : Bonnie Tyler – I need a hero

Furieux, Epoch toisait Farfadet avec haine, ne pouvant accepter qu’un mortel puisse manier la puissance de l’un des Vols draconiques.

« Impensable !!! hurla-t-il. Je ne laisserai pas un simple mortel manipuler des telles forces !!! Comment avez-vous pu laisser une telle chose se produire, Gardiens ??? Qui est le plus fou de nous deux, Chronormu ??? »

Le monstre prit soudain une grande inspiration.

« J’en ai assez !!! tonna-t-il. Je vais vous balayer !!! »
Il souffla soudain un terrible jet de flammes noires sur le groupe, qui embrasa immédiatement le sol et les maisons de Southshore.
Chromie sauva in extremis de la mort les compagnons, en invoquant un bouclier de protection qui protégea le petit groupe contre les flammes du monstre.
Autour d’eux, la zone était devenue une véritable fournaise. Le toit de l’auberge de Southshore avait pris feu.
« Taretha !!! s’alarma Erozion. Elle est dans l’auberge !!!
- Taretha ??? s’étrangla Thrall. Elle est ici ???
- Ne t’inquiètes pas, Thrall, répondit Chromie avec calme. Regarde. » ajouta-t-elle en désignant Farfadet.

Le guerrier ne se trouvait pas sous le bouclier de Chromie.
Il se trouvait toujours au milieu de la flaque de son propre sang qui continuait à suinter des multiples blessures qui constellaient son corps.
Etrangement, les flammes ne semblaient pas l’avoir affecté. Il fixait Epoch, dans le ciel. Ses pupilles s’étaient embrasées d’un intense feu rouge, qui n’avait cependant rien de commun avec la lumière sanglante que l’orc avait autrefois vue dans les yeux d’Ivy.
Le Dragon du Vol Infini, de son côté, regardait sans comprendre l’orc toujours debout au milieu de la tempête de flammes, indemne.
« C’est tout ce que tu peux faire ??? lança le guerrier au Dragon, qui hurla de dépit.
- Comment est-ce possible ??? » rugit celui-ci.

Soudain, une voix majestueuse résonna dans les airs.
Une voix que Farfadet, , un instant désorienté, identifia cependant immédiatement comme celle de l’infortuné Vaelastrasz.

« Prends ton envol, Fils du Vol Rouge, tonna-t-elle.
Grâce à toi, les ennemis de la Flamme de Vie connaîtront la peur !

Désormais, les espoirs de ce monde reposent sur tes Ailes !!! »

Chromie eut un léger sourire.
« Cher vieil ami, murmura-t-elle, si bas que personne ne l’entendit. Même dans la mort, vous n’avez pas abandonné la lutte… »
A côté d’elle, Erozion murmura à son tour :
« Le Vol Rouge est intervenu ??? Le Seigneur Vaelastrasz a…
- Non, coupa Chromie à son intention, en draconique pour que leurs compagnons ne puissent comprendre. Ce n’est pas le Vaelastrasz de ce temps qui agit ici. C’est le pouvoir qu’il a légué à Farfadet qui brûle dans les veines de ce guerrier. »

Depuis le ciel, Epoch ouvrit soudain des yeux horrifiés.
Il lui sembla un instant que deux ailes immenses avaient poussé dans le dos du guerrier.

« Non… gémit-il. C’est impossible ! ».
Puis il se reprit et se redressa, furieux.
« VAS-TU TE DECIDER A MOURIR ??? » hurla-t-il.

D’un seul coup, il fondit comme une bombe sur Farfadet, qui de son côté se ramassa sur lui-même pour sauter ensuite à une hauteur prodigieuse, à la rencontre du Dragon Infini.

Un ensemble d’exclamations stupéfaites accompagna le bond du guerrier. Ivy ne perdait pas une miette du combat, bouche bée. Elle était fascinée par ce qu’elle voyait, mais au-delà de cela, elle se sentait étrangement proche de ce fantastique guerrier… Sans savoir pourquoi.

Malgré le vacarme autour d’eux, Epoch entendit très distinctement la réponse de Farfadet, que le guerrier avait pourtant murmurée, le cœur brisé, plus pour lui-même que pour son adversaire.
« Je ne te laisserai pas changer le cours de l’Histoire… Si cela permet à Ivy de vivre heureuse ne serait-ce qu’une seconde. »

La rencontre de Farfadet et d’Epoch dans le ciel produisit une onde de choc phénoménale, qui souffla d’un coup les flammes qui dévoraient Southshore.
Les autres combattants se retrouvèrent projetés au sol malgré leurs efforts pour rester debout.

Lorsqu’ils se relevèrent, de fut pour voir Farfadet se réceptionner souplement au sol, sans se retourner.
Dans le ciel, Epoch s’était figé. Il contemplait, les yeux écarquillés, celui qui venait de le vaincre.
« Non… Je ne peux croire… »

Puis, la vision qu’il avait de Farfadet se scinda en deux, tandis que les deux moitiés du monstre, complètement tranché en deux de la tête à la queue par la lame de Farfadet, se séparaient l’une de l’autre dans le ciel pour tomber en cendres à toute vitesse.
Avant que le monstre ne disparaisse totalement, laissant les combattants stupéfaits devant la scène qui s’était déroulée devant eux, sa voix retentit une dernière fois, faiblement, comme un souffle.

« Le Maître… ne sera pas content… »

[Forêt d’Alterac]

D’une secousse brutale, Aeonus catapulta Looping en arrière.
Un atroce bruit de déchirement se fit entendre lorsque sa griffe s’arracha de la plaie béante au torse de l’orc. Le guerrier roula à plusieurs dizaines de mètres, laissant une large traînée d’un sang rouge irrégulière qui contrastait atrocement avec l’herbe à leurs pieds.

Aeonus inclina la tête, observant avec curiosité son adversaire qui était sans doute déjà mort.
Il étira légèrement le cou, faisant craquer les os de sa colonne vertébrale. Les écailles métalliques qui couvraient son corps depuis sa transformation faisaient souvent cet effet. Il se sentait, malgré la désagréable surprise de l’étonnante résistance de cet orc maudit, extrêmement bien. Revêtir sa véritable apparence lui procurait toujours cette sensation grisante de toute-puissance… Et Looping, s’il était toujours en vie (ce qui était hautement improbable), devait à présent avoir compris qu’il n’avait aucune chance.
Pourtant, lorsqu’il vit son adversaire se relever péniblement à nouveau, et que son regard enflammé croisa une fois encore celui du Dragon, Aeonus ne put s’empêcher d’éprouver une seconde (juste une seconde !) d’incertitude.

Looping, malgré sa chute, n’avait pas lâché les Destructrices des Mondes. Les plantant en terre, il s’en aida pour se relever.
Le sang ruisselait sans discontinuer de l’effarante blessure de sa poitrine, et Looping sentait sa vue se brouiller au fur et à mesure que son cœur pompait sa vie hors de son corps.
Il comprit qu’il n’avait plus qu’une seule solution.

En face de lui, Aeonus le toisait d’un air méprisant.
« Toujours en vie ? » s’étonna le Dragon, en levant un sourcil écailleux. Looping, qui peinait à conserver son équilibre, ne répondit pas, continuant à le fixer de ses yeux jaunes épuisés.
Après un instant de silence, Aeonus ferma les yeux, et sourit cruellement.
« Prépare-toi, Orc, dit-il lentement, savourant chaque syllabe. Cette attaque sera la dernière. »

Le Dragon se redressa, levant un instant les yeux au ciel, espérant que le Maître du Vol Infini observait son triomphe. Il était sûr de sa victoire, à quelques secondes de lancer l’assaut fatal sur le mystérieux guerrier.
La réponse sereine de Looping le prit complètement au dépourvu.

« Je ne te le fais pas dire. »

Aeonus se figea dans sa posture d’attaque.

Looping lui faisait face, debout par il ne savait quel miracle de volonté.
Il avait levé ses lames jumelles, les Destructrices des Mondes, en direction du ciel.

Mais ce n’était pas cette posture qui avait d’un coup arrêté le Dragon.
C’était l’énergie qui s’était soudain mise à flamboyer autour de lui.

« Que… » commença l’émissaire du Vol Infini, incapable d’en articuler plus.

Sous ses yeux horrifiés, les Destructrices des Mondes, que Looping avait rapprochées l’une de l’autre, s’étaient entourées d’une aura jaune de flammes étincelantes d’une clarté insoutenable. Elle enveloppa complètement les deux armes, aveuglant un instant le Dragon qui dut détourner le regard.
Lorsqu’il put reposer les yeux sur Looping, il écarquilla les yeux, incapable d’accepter ce qu’il voyait. La panique et la terreur venaient subitement de lui ôter toute possibilité de riposte.
La mort d’Aeonus était inscrite dans les yeux de Looping, mais même cela n’aurait pu faire réagir le Dragon devant l’impensable spectacle auquel il assistait.

Looping brandissait à présent une lame qui ne pouvait pas exister. Une épée dentelée de plus de trois mètres, parcourue d’éclairs et entourée de flammes aux reflets changeants. Chaque atome de cette arme vibrait d’une puissance sans bornes. Autour de Looping, le sol commença à se craqueler, brisé par l’énergie surpuissante qui se dégageait d’elle.

« La… La Grande… » bégaya-t-il, médusé.

« Tu ne m’as pas laissé le choix, Dragon, murmura Looping d’une voix épuisée. Je n’ai pas le droit d’utiliser cette arme… Mais c’est la seule solution qu’il me restait.

Goûte à la puissance de l’Epée de l’Apocalypse !!! »

Avec ce cri de guerre, Looping courut vers Aeonus et abattit l’épée vers lui. Instinctivement, mü par une rage sans limite, le monstre se rua vers lui, décidé à jouer le tout pour le tout malgré la terreur qui coulait maintenant dans ses veines.
Le choc de leur rencontre fut colossal, et un souffle brûlant d’énergie ravagea la terre et les arbres autour d’eux, fendant même les nuages dans le ciel avec un sourd grondement.

Lorsque la fumée se dissipa, Looping et Aeonus se tournaient le dos, aussi immobiles l’un que l’autre.
Le Dragon, les yeux exorbités, baissa lentement le regard vers sa poitrine, refusant d’y voir la plaie béante qui s’y était ouverte lorsque l’Apocalypse portée par Looping l’avait traversé de part en part.
Avec de pénibles mouvements saccadés, le Dragon redressa la tête et leva les yeux au ciel, cherchant une réponse logique à l'invraisemblable combat qui venait d’avoir lieu.
Plus bas, ses viscères quasiment vaporisées par l’énergie destructrice de l’Apocalypse se répandaient sur le sol.

« C’est impossible… Qui… Qui es-tu ??? bredouilla Aeonus, s’étranglant dans un sang noir et fumant tandis que son corps, frémissait convulsivement, dans l’attente de la mort. Un mortel ne peut être aussi puissant !!! Qui es-tu réellement ??? »
L’orc, qui avait transpercé le dragon, continuait à lui tourner le dos. La bête s’effondra enfin au sol. Son corps commença lentement à se désagréger, comme si le Dragon tombait soudain en poussière.

Regardant droit devant lui, Looping murmura, en crachant son propre sang :
« Tu ne mérites pas de le savoir. »
La lueur dans ses yeux flamboyait toujours aussi fort, malgré l’impensable blessure qui traversait sa propre poitrine.

[Southshore]

Plusieurs minutes s’étaient écoulées depuis la défaite d’Epoch face à Farfadet, et cependant ses compagnons, Chromie mise à part, n’en croyaient toujours pas leurs yeux.
La gnomette avait feint d’ignorer les interrogations combinées de Thrall, d’Ivy , de Zverenhoff et de Zacharias, se contentant de se rendre dans la chambre où reposait Taretha Foxton, pour s’assurer qu’elle était toujours saine et sauve.
Thrall, qui comme les autres lui avait emboîté le pas, poussa une exclamation de surprise inquiète en se précipitant à son chevet. Mais quelques paroles rassurantes d’Erozion le calmèrent, lorsqu’il vit que la jeune femme dormait toujours paisiblement.

De leur côté, Farfadet et Zverenhoff se faisaient face (Ivy, elle, avait suivi Chromie en compagnie de Zacharias, toujours aussi intriguée par les rayonnements arcaniques inconnus de la gnomette, même si elle se sentait totalement perdue parmi les extraordinaires évènements qui avaient eu lieu sous ses yeux).
Le paladin, intrigué, garda un moment de silence avant de demander à l’orc :
« Pourquoi voulais-tu tellement nous sauver, guerrier ? demanda-t-il. Pourquoi… ajouta-t-il en plissant les yeux, cherchant à sonder les tréfonds de l’âme de son interlocuteur, pourquoi voulais-tu tellement qu’elle s’en sorte ? »

Farfadet soutint le regard du Duc, d’abord sans répondre.
Puis, il demanda, comme s’il n’avait pas entendu la question de l’homme :
« Tu l’aimes, n’est-ce pas ? »
Surpris, Zverenhoff eut un mouvement de recul étonné, avant de se reprendre. Lui aussi fixa un long moment l’orc sans répondre, ne sachant pas s’il devait ou non s’indigner.
Après un moment, il répondit lentement.
« Oui, acquiesça-t-il. Je donnerai ma vie pour elle.
- Je le sais, reprit Farfadet à voix basse. Protège-la, ami. Je te la confie.
- Que veux-tu dire ? » demanda le Duc.
Farfadet eut un léger sourire triste.
« Tu apprendras à la connaître, répondit-il. Elle te suivra dans ton combat… Et elle risquera sa vie pour toi. Car elle aussi… Elle t’aime. » ajouta-t-il d’une voix troublée.

Les autres revenaient de l’auberge, Thrall portant Taretha toujours endormie dans ses bras.
« Farfadet, dit doucement Chromie. Il est temps. »

L’orc tourna la tête vers Chromie, puis acquiesça lentement, et tourna les yeux vers Ivy, qui le regardait, ses yeux bleus plein d’innocence le considérant toujours avec admiration et respect.
« Au revoir, Ivy. » murmura-t-il.

La jeune fille ouvrit des yeux étonnés.
« Quoi ??? » demanda-t-elle.

Un grand éclair blanc noya subitement toute la scène.

[Forêt d’Alterac]

Après un instant, Looping s’effondra à genoux, tentant péniblement de reprendre son souffle.
Il sentait les picotements habituels qui annonçaient le début de sa lente régénération. Dans quelques jours, il n’y paraîtrait plus. Mais en attendant…
Derrière lui, la carcasse inerte du terrible Aeonus se décomposait maintenant à toute allure. En quelques instants, son corps s’était fait cendres qui se dispersèrent aux vents, jusqu’à ce qu’il ne reste rien de lui.
L’Apocalypse, elle aussi, était devenue transparente jusqu’à disparaître, retournant à la dimension d’où le guerrier l’avait tirée.
Mille souffrances lui traversaient le corps, et il respirait avec la plus grande difficulté, comme s’il avait encore un poignard planté dans les poumons. Le contrecoup de l’utilisation de l’Apocalypse serait lent à disparaître.

Gorghotha…
Il ne pourrait pas le rejoindre, songea-t-il. Pas dans un tel état. Comment allait-il pouvoir veiller sur lui ???
Il prit soudain une résolution. Gorghotha ne l’avait jamais vu sans son casque… Il ne connaissait donc pas son visage.
Autrement dit… Oui, il y avait une solution.
Il aurait souhaité ne pas en arriver là… Mais il n’avait pas le choix.
Il avait son rôle à jouer.

« Vaelan !!! tonna-t-il d’une voix surpuissante, malgré la douleur. Etes-vous là ? »
Pendant un moment, rien ne se passa, à tel point que Looping crut un instant que son appel resterait sans réponse.
Puis, comme par magie, un vieil homme surgit de l’orée de la forêt. Looping tourna son regard épuisé vers lui. L’homme le contemplait avec pitié et commisération.
« J’ai senti votre combat, ami, dit lentement le dénommé Vaelan, une sourde inquiétude dans les yeux. Que s’est-il passé ici ? Qui était… Qu’était donc cette chose ??? Qu’est-ce que le Vol Infini ???
- Voilà l’une des nombreuses questions auxquelles je n’ai pas de réponse, répondit péniblement Looping.
- Vous auriez dû m’appeler plus tôt, mortel, dit Vaelan en secouant la tête. Vous n’auriez pas dû utiliser l’Apocalypse… Cette arme est bien trop dangereuse !!! Vous savez ce que vous risquez… Ce que nous risquons tous…
- Non, répondit Looping, ignorant les remarques de l’homme. Il ne fallait pas mêler le Vol Rouge à ce combat. Votre rôle n’est pas ici.
- Pourquoi m’avez-vous appelé, alors ? coupa l’étrange visiteur.
- L’enfant… Protégez-le… souffla Looping, d’une voix épuisée et implorante.
- Quoi ??? s’exclama l’homme, surpris. Cet enfant ??? »
Ce disant, il matérialisa dans sa main une sphère de lumière qui ne tarda pas à afficher l’image du malheureux Gorghotha, qui, épuisé, s’était réfugié dans un fourré, plus loin vers le Nord, vers les montagnes d’Alterac.
Looping acquiesça. Pendant un moment, Vaelan ne dit rien, contemplant l’image de l’enfant. Puis, après un moment, il finit par murmurer :
« Je vois… C’est le fils de votre compagnon…
- C’est le fils d’un héros, reprit Looping, accablé. Je lui ai fait une promesse… Et je la tiendrai.
- Vous rendez-vous compte de ce que vous me demandez ? Cela risque de détruire l’Equilibre ! Cela pourrait…
- Je n’ai que faire de votre Equilibre !!! » répliqua Looping, cinglant, en se relevant d’un bond malgré la douleur.
Pendant un moment, tous deux se considérèrent en silence, se défiant du regard.
« Très bien, ami, finit par dire Vaelan. La dette que nous avons envers vous est si grande que je ne peux vous refuser cela… Mais il nous faudra être extrêmement prudents.
- Merci, mon ami. » dit simplement Looping.

Un long silence s’installa, que l’homme finit par rompre.
« Notre tâche est de protéger ce monde coûte que coûte, et sans vous, rien n’aurait été possible. Soyez tranquille, mortel. Je protègerai l’enfant. Nous devons mettre toutes les chances de notre côté face au Vol Noir, et aux autres menaces qui pèsent sur les races d’Azeroth. Le combat sera périlleux, et nombre de valeureux combattants y laisseront la vie. Mais il ne sera pas dit que le Vol Rouge aura abandonné la lutte. »

En entendant ces paroles, Looping sentit un nouveau poignard lui traverser, non pas le corps, mais le cœur. Sombrement, il dit :
« Ami… Votre fin est proche. Si vous persistez dans cette voie… Bientôt sonnera l’heure de votre dernier combat.»
Vaelan le regarda, esquissant un léger sourire triste.
« Je ne suis peut-être pas tout à fait comme vous, mais il y a moi aussi des choses que je sais et que j’ai acceptées, répondit-il en haussant les épaules. Je suis prêt à mourir pour préserver le destin d’Azeroth. » dit-il dignement.
Les larmes montèrent aux yeux de Looping.
« Cette décision est la preuve d’un grand courage… Seigneur Vaelastrasz, dit Looping en s’inclinant. J’espère pouvoir un jour vous rendre la pareille.
- Non, ami, répondit Vaelan en s’inclinant à son tour, sans quitter son sourire triste. C’est nous qui vous serons toujours redevables… Noble Nerazmodu. »
Après un moment de silence, Looping répondit doucement, d’une voix lasse :
« Ne m’appelez pas ainsi, mon ami. »

L’homme acquiesça sans répondre. Après un moment, il tourna son regard vers l’image du jeune Gorghotha, toujours dissimulé dans le buisson qui lui servait de protection précaire, à plusieurs lieues de là. L’enfant, comme pour chasser un horrible cauchemar, s’était endormi.
« Je crois que vous avez raison. Quelque chose me dit que, pour que vous vous y intéressiez autant… Cet enfant sera bien l’un des artisans du destin des mondes. » ajouta-t-il avec un sourire attendri.

Les deux compagnons se regardèrent encore un moment en silence.
Puis, Vaelan-Vaelastrasz se dirigea lentement vers le nord, suivant la piste de Gorghotha.
Il finit par disparaître à la vue de Looping au détour d’une colline.

Mais lorsqu’il parla, le guerrier entendit parfaitement la voix du Dragon Rouge.

« Partez tranquille, mon ami.
Allez prendre votre place auprès de Thrall… Oeuvrez pour la survie de votre peuple, le fier peuple des Orcs… Et soyez patient.
Gorghotha va oublier ce qu’il a vu aujourd’hui.

Mais lorsque le temps sera venu… Lorsqu’il sera prêt…

Alors le fils d’Herzegor rejoindra les rangs de la puissante Horde. »

Lorsque Farfadet distingué à nouveau quelque chose, il constata qu’il était de retour dans les Grottes du Temps.
Autour de lui, les survivants, Chromie, Erozion et Zaladormu, affichaient le même épuisement que celui qu’il éprouvait à présent. Tous arboraient, malgré leur victoire, un visage sombre.
Tous avaient dans la bouche le goût amer d’une victoire arrachée au prix d’immenses sacrifices. Pas un n’osa croiser le regard de Farfadet, lui qui avait traversé tant d’épreuves pour voir finalement sa femme, trompée dans ses sentiments par les manipulations du Vol de Bronze, partir avec un autre que celui de qui elle était réellement tombée amoureuse.
Soridormi, qui les avait à nouveau accueillis à leur retour, affichait le même visage ravagé par la tristesse et l’inquiétude que sa fille Chromie.
« Vous avez réussi, dit cependant l’épouse de Nozdormu en s’adressant à ses congénères. Félicitations, mes enfants. »
Puis elle se tourna vers Farfadet. Des larmes émues brillaient dans ses yeux d’or.
« Farfadet… murmura-t-elle. Merci. Sans toi, rien n’aurait été possible. Tu es vraiment le digne héritier de Vaelastrasz. »
L’orc, épuisé et accablé de peine, ne releva pas.
« Et maintenant ? » dit-il simplement.

Soridormi ne répondit pas tout de suite.
« Ce segment temporel est maintenant sûr, grâce à vous. Nous allons rester vigilants, bien sûr, mais le Vol Infini ne pourra plus altérer cette partie de l’histoire des mondes. ».
- Epoch n’était qu’un agent, interrompit Farfadet. Il y a quelqu’un derrière lui, et vous le savez. Quelqu’un qui dirige le Vol Infini. Que comptez-vous faire ? »
Chromie posa une main apaisante sur la sienne.
« Farfadet, dit-elle doucement. C’est notre rôle de nous occuper de cela. Tu en as fais assez. ».
Le guerrier tourna la tête vers la gnomette. Chromie sentit son cœur se briser devant le désespoir qui se lisait dans le regard épuisé de l’orc.
« Il ne me reste plus rien, à présent, murmura-t-il. Plus aucune raison de me battre… Plus aucune raison d’exister. »

Tout à ses tourments, Farfadet n’avait ni remarqué Anachronos qui s’était approché du groupe de survivants, ni le regard pénétrant que Soridormi et lui avaient échangé avant qu’Anachronos n’acquiesce lentement.
« Il te reste pourtant une excellente raison de vivre, guerrier, dit le dragon avec gravité.
- Laquelle ? demanda Farfadet avec lassitude, en tournant les yeux vers lui.
- Tes compagnons, les Saigneurs Ecarlates, ont repris la lutte pendant que tu combattais avec nous. De terribles évènements ont eu lieu ces derniers jours… Et ils se sont lancés sans hésiter dans la bataille. Si tu le désires… Si le sang de Vaelastrasz continue à brûler en toi… Je peux t’emmener les rejoindre. Ils se trouvent actuellement dans les Maleterres. Et… ils courent un grave danger. »

Farfadet n’hésita pas une seconde.
« Conduis-moi. » dit-il simplement. Le majestueux Dragon de Bronze se tourna, invitant Farfadet à l’enfourcher. Celui-ci s’exécuta sans attendre. Ainsi harnaché sur le dos d’Anachronos, il tourna à nouveau son regard vers Soridormi, Chromie, Erozion et Zaladormu.
« Bonne chance, Farfadet, dit doucement Chromie. Puisses-tu un jour nous pardonner les épreuves que tu as dû subir pour nous aider.
- Je te promets, sur le sang de mon Vol, que tu n’auras pas enduré tout cela en vain, ajouta Soridormi en s’inclinant devant le guerrier.
- Merci, Fils du Vol Rouge, dit Erozion en s’inclinant également. Ton aide nous aura été plus que précieuse. »
Zaladormu, comme ses congénères, s’inclina lui aussi respectueusement devant le guerrier, le regard plein de gratitude malgré son épuisement.

« Il est temps, Farfadet. » dit simplement Anachronos avant de déployer ses ailes et de s’envoler.
Soridormi, Chromie, Erozion et Zaladormu regardèrent silencieusement l’orc, juché sur le dos du dragon, qui partait à la rencontre du terrible destin qui était le sien.

[Grottes du Temps]

Cela faisait maintenant plus d’une heure qu’Anachronos avait emmené Farfadet dans les Maleterres, songea l’agent du Vol Infini.
Qu’il l’avait emmené se faire tuer, espérait-il simplement.

Il se sentait malgré lui extrêmement mal à l’aise.
Certes, il avait réussi la mission que lui avait confiée son Maître… Mais ça n’était pas le cas d’Epoch, dont la tâche était autrement plus importante !

Ce damné orc avait pleinement rempli la mission que lui avaient confié les Gardiens du Temps, malgré les tentatives du Vol Infini pour l’en empêcher. Lui, Farfadet, un simple mortel, avait réussi à vaincre Epoch !!!
Il avait tué un intemporel !!!

Il devait se trouver un coin tranquille pour entrer en communication avec son Maître. Le prévenir de l’inquiétante puissance de ce guerrier. L’avertir qu’il pouvait effectivement manipuler la puissance des Rouges. De manière extrêmement grossière certes, mais il le pouvait.
Vite.

Le traître s’arrêta près de la discrète fissure qu’il utilisait habituellement pour se cacher. Il jeta un coup d’œil circonspect aux alentours, s’assurant que personne ne le regardait. Puis, hâtivement, il se faufila dans la faille.
Il suivit silencieusement dans l’obscurité les quelques mètres qui prolongeaient la fissure, qu’il commençait à connaître. Il déboucha enfin dans la petite grotte où il avait créé la minuscule déchirure dimensionnelle qui le rattachait à son Maître.
Le joyau qu’il portait autour du cou, qu’il avait déguisée en insigne des Gardiens du Temps, se colora d’une sombre lueur rouge.

« Qu’en est-il, mon serviteur ? résonna soudain la voix avide de l’Infini dans l’esprit du traître. Tout s’est-il passé comme prévu ?
- Pas exactement, Seigneur, répondit le traître en pensées. Ma mission est accomplie, se hâta-t-il d’ajouter, mais je suis inquiet : ce guerrier orc semble avoir bien plus de ressources que nous ne l’imaginions et…
- Silence, mon serviteur. Cela n’est pas important.
- Mais Maître, je ne comprends pas !!! gémit le serviteur. Il a tué Epoch !!! Nous avons échoué !!! Comment…
- Il suffit, répondit la voix, plus fermement cette fois. Je te l’ai déjà dit : seule ta tâche comptait. Le reste… n’a aucun intérêt.
- Mais, Maître… Pourquoi ne pas avoir directement éliminé Farfadet et les Gardiens de Bronze, tant que nous le pouvions ? » demanda le traître, osant enfin poser la question qui lui brûlait les lèvres depuis que son Maître lui avait confié sa mission.

« Qui est donc ce mage qui a pour vous une telle importance ??? »

Theme : Charlie Clouser – Hello Zepp
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(ne manquez surtout pas cette musique magnifique… )

Un moment passa avant que la voix de l’Infini ne réponde sardoniquement :

« Amusant… Tous le connaissent, et pourtant personne n’a réalisé qui il était, pas même la petite Chronormu. Et même toi, sachant ce que tu avais à faire, tu n’as pas compris. La portée de tes actes dans la dimension temporelle que tu as pénétrée t’échappe totalement.
Tu as aujourd’hui rencontré cet homme à l’époque où il ne faisait pas encore parler de lui. Mais grâce à la brèche que tu as ouverte en lui, il deviendra un allié puissant.
Redouté dans tout le continent d’Azeroth.

Il sera… »

« Il fallait que nous « perdions » cette fois, reprit la voix du Maître du Vol Infini, se délectant de la bonne exécution de son plan.
Du moins… Il était important que les Gardiens du Temps croient avoir gagné.

Epoch était là pour une seule raison, même s’il l’ignorait : focaliser toute l’attention des membres du Vol de Bronze sur Thrall… Et leur faire croire que le chef de guerre de la Horde était notre cible.
Mais altérer le destin du Chef de guerre des Orcs aurait été trop dangereux, même pour nous.
En revanche, sacrifier Epoch pour monopoliser l’attention des Gardiens du Temps nous aura permis, grâce à toi, d’ouvrir le cœur de Zacharias Kel’Thuzad, notre seule véritable cible, à la Voix des Morts… Sans que personne ne s’en aperçoive.

Anticiper les réactions du Vol de Bronze est un jeu d’enfant… Ils sont tellement prévisibles.

Au final… Ils n’ont rien accompli.
Et ils ne savent même pas que toutes leurs tentatives pour nous arrêter ont été un échec. »


Le traître, tranquillisé, désactiva la déchirure dimensionnelle, tandis que le rire machiavélique de son Maître résonnait à ses oreilles, lui glaçant le sang malgré son affiliation au Vol Infini.

Il avait eu tort de s’en faire. Le Maître avait raison. Tout avait marché à la perfection, songea-t-il, ébahi malgré lui de l’intelligence de celui qui avait conçu ce plan remarquable. Personne n’avait prêté attention au magicien lors du combat contre Epoch… Même Chromie n’avait pas senti ce qu’il avait fait à Zacharias, trop occupée à maintenir l’intégrité de la bulle temporelle autour de Southshore.
Quant à son frère Epoch… C’était une perte nécessaire.
Un sourire cruel s’étira sur ses lèvres.
C’était certain à présent… Le Vol de Bronze n’avait aucune chance contre eux.

Avant de quitter la pièce, il jeta un œil autour de lui. Le cadavre de celui dont il avait usurpé l’identité gisait toujours sur le sol. Son sang avait servi à tracer les sceaux qui avaient permis l’ouverture de la brèche.
Avec un nouveau sourire froid, il songea qu’il serait bientôt temps de relancer le sort de métamorphose. Il était hors de question que son identité soit percée à jour, le Maître ne le lui pardonnerait jamais.

Avec précautions, il s’extirpa rapidement de sa cachette. Personne ne l’avait vu.
Il était temps de retourner auprès du Sablier Infini avant que son absence ne se remarque.
Il se hâta vers la salle principale des Grottes du Temps.

Lorsqu’il déboucha auprès du Sablier, ce fut pour y trouver Chronormu, encore une fois affublée de son ridicule déguisement de gnome. Il se figea un instant, dissimulant sa haine de son mieux. La dragonne tourna la tête vers lui et le regarda s’approcher en le fixant avec intensité. Instinctivement, l’imposteur se barbouilla sur le visage l’air impassible et affairé qu’arboraient habituellement les Gardiens du Temps.
« Dame Chronormu, dit-il en s’adressant à la gnomette. Pourriez-vous me dire où est votre auguste Mère ? Je dois la tenir au courant des derniers évènements !
- Mère est auprès de Père, répondit-elle. Ne t’inquiète pas, je lui ai parlé. Elle sait déjà ce qui a eu lieu, ajouta-t-elle avec un sourire.
- Très bien, répondit le traître en s’inclinant. Je retourne donc surveiller les canaux temporels.
- Va, mon ami. » répondit-elle gravement.
Le traître s’inclina une nouvelle fois, puis se retira.

Chromie, songeuse, le regarda s’éloigner rapidement.
Elle était perplexe, et pour tout dire légèrement mal à l’aise. Le Vol de Bronze, grâce à l’aide de Farfadet, avait fini par triompher. Même si, elle l’avait lu dans les yeux de Soridormi, sa mère était parfaitement au courant de ce qu’elle avait laissé arriver entre Ivy et Farfadet.

Et pourtant…

Elle avait l’impression troublante d’avoir laissé échapper quelque chose. Quelque chose de très important.
Comme l’avaient dit à plusieurs reprises les membres du Vol de Bronze après la découverte des premières modifications de ce segment temporel, il paraissait complètement aberrant que le Vol Infini s’en soit pris à Thrall, l’un des êtres dont la moindre altération du destin pouvait tout simplement mener au déchirement des mondes.
Il y avait quelque chose qui n’allait pas.
Cela n’était pas terminé.


Non, songea-t-elle, reprenant le cours de ses pensées, en regardant son compagnon qui lui tournait le dos.
Elle n’aurait su dire pourquoi, mais…

Plus elle y pensait…

Plus elle trouvait qu’il y avait décidément quelque chose de dérangeant…

…chez Erozion.