Chroniques écarlates (22)

Thunderfury

« Qu’est-ce que… commença Mograine, n’en croyant pas ses yeux.
- Le combat était un peu trop déséquilibré, reprit Sheogorath, amusé. Je suis allé chercher de quoi arranger ça. »
Mograine recula, repoussant le démoniste qui se mit en garde. Le Généralissime, les yeux écarquillés, fixait la mystérieuse lame brandie par son nouvel adversaire. Celle-ci, composée en réalité d’une double lame translucide aux éclats bleutés, parcourue d’éclairs, paraissait vibrer d’énergie comme si elle était vivante.
« Serait-ce… commença-t-il.
- L’une des seules armes capables de rivaliser avec la tienne, Mograine. Je ne pensais pas m’en servir avant un long moment… Mais tu me forces la main.
- La Thunderfury, murmura le Généralissime sans y croire. Alors… Tu as vaincu…
- Oui, reprit Sheogorath en désignant sa main gauche atrocement brûlée. Ca n’a pas été sans mal… Mais Thunderaan n’est plus.
Et sa Lame m’appartient désormais !!! » ajouta-t-il d’un air triomphant.

Avec un rictus de rage, Mograine se rua sur son adversaire, brandissant l’Ashbringer.
A nouveau, les deux épées s’entrechoquèrent violemment, crachant d’autres furieuses étincelles. Le sourire hautain du démoniste n’avait pas disparu. Le Généralissime, en revanche, semblait avoir perdu de sa superbe et mettait à présent toute sa force dans les coups qu’il portait.
La lame translucide de Sheogorath semblait virevolter dans sa main artificielle, parant les attaques de son adversaire avec une aisance surnaturelle. Les deux combattants faisaient décrire à leurs armes des moulinets compliqués, dans un ballet où le moindre faux pas serait mortel.
Eberluée, Ivy, protégée par Sheogorath, se remémora subitement le combat auquel elle seule avait assisté, et qui avait opposé le Traître à la Reine des Réprouvés. Et qui avait également valu au mystérieux démoniste la perte de sa main droite, remplacée aujourd’hui par cette étrange main d’adamantite.
A cette époque, possédé tout entier par la puissance furieuse des Nathrezims, c’était Sheogorath qui était apparu comme le plus massif et lourdaud du terrible duel qui l’avait opposé à la gracieuse et agile Dame Sylvanas Windrunner.
Aujourd’hui, Ivy éprouvait un sentiment étrange et indéfinissable à voir celui-ci se mouvoir avec la même agilité que la Dame Noire. La Thunderfury semblait danser dans sa main, et bloquer chaque fois in extremis le tranchant acéré de la monstrueuse Ashbringer Noire.

La jeune fille, devant cette extraordinaire bataille de lames, se surprit à reprendre espoir.

Les passes d’armes des deux adversaires étaient réellement fascinantes. Tous, à part Ivy, découvraient avec une surprise mêlée d’inquiétude (car nul n’avait oublié que le sinistre démoniste avait toujours fait passer ses propres intérêts avant ceux du monde) l’étonnante habileté de Sheogorath à l’épée. En cet instant, aucun guerrier ne semblait pouvoir rivaliser avec lui, qui tenait tête à Mograine là où les autres combattants des Saigneurs Ecarlates avaient été balayés.
Amongzedeath se reprit soudain. Certes, le spectacle de ces deux adversaires avait quelque chose d’envoûtant, mais l’heure était grave, et ils n’avaient pas de temps à perdre ici. Grâce à leurs efforts, Mograine était seul à présent, et il serait bien malavisé de ne pas en profiter. Il leva la main, tandis que des cristaux de glace commençaient à se former dans sa paume. Un instant plus tard, il projeta un trait de glace en direction de Mograine. Celui-ci tourna vivement la tête vers la nouvelle menace…
Mais Sheogorath fut encore plus rapide que lui.
Sans même jeter un regard vers le mage, le démoniste lâcha une fraction de seconde sa lame crépitante avec laquelle il venait de parer un coup d’estoc de l’Ashbringer, la rattrapant aussitôt de la main gauche, tandis qu’il bloquait le projectile glacé d’Amongzedeath et l’étouffait dans son poing mécanique serré. Avant même que le mage ait réalisé ce que le démoniste venait de faire, Sheogorath avait relancé son épée de sa main gauche à son gant d’adamantite.
« Je n’ai pas besoin d’aide !!! » tonna-t-il, furieux.
Estomaqués, ses compagnons se préparaient à rétorquer, lorsque Mograine les devança. Plus que les paroles elles-mêmes, ce fut le ton de la voix du Généralissime qui alarma les aventuriers.
« Oh que si, Sheogorath, dit-il d’une voix douce et menaçante. Mais tu es trop sûr de toi pour t’en rendre compte. »
Une simple exclamation de mépris fut la seule réponse du démoniste, qui relança sans attendre l’assaut sur son adversaire.

Arràgon, comme ses compagnons, s’était figé devant le spectacle de ce combat aussi inattendu qu’envoûtant. Il n’en revenait pas…
La Thunderfury !!! Comment Sheogorath avait-il pu s’emparer de l’épée de Thunderaan, le Prince Elémentaire ???
Le paladin, bien entendu, connaissait l’existence de la Lame des Vents. Mais il n’aurait jamais cru la revoir, depuis le jour de…
Il secoua la tête.
Comme tout cela était loin…
Dans son autre vie.

Depuis son arrivée au sein des Saigneurs Ecarlates, le paladin allait décidément de surprise en surprise. Nombre d’entre eux semblaient cacher d’étonnants secrets.

Farfadet, l’Héritier des Rouges…

Ivy et son effrayante jumelle aux yeux de sang, Solaris…

Looping et l'inconcevable aura qui rayonnait autour de lui, que seul lui pouvait sentir…

Fichtres, qui, il le sentait, avait déjà voyagé dans le Royaume des Morts pour en revenir inexplicablement indemne…

Yashna et l’énergie noire qui pulsait parfois au fond de son cœur, telle une ombre fugitive et menaçante…

Kharneos, le mort-vivant que Solaris avait créé, qui, il ne savait pourquoi, le faisait frissonner chaque fois qu’il croisait son regard fantomatique, comme s’il venait de rencontrer un très vieil adversaire…

Sapristi, qui pour se trouver parmi eux avait sans doute dû habilement dissimuler son sinistre passé…

Sans oublier la jeune Teela, restée là-bas, à Lune d’Argent, qu’il fallait protéger à tout prix…

Et maintenant, Sheogorath et sa puissance démesurée, l’homme qui en savait décidément bien trop long pour un simple mortel…

Et il en était certain, d’autres membres des Saigneurs Ecarlates lui réservaient encore bien des surprises…
Qui étaient-ils tous ?
Qui étaient-ils réellement ???

Arràgon se surprit soudain à se demander si chacun d’entre eux avait sa place…
Au sein de la Prophétie. C’était impossible, et pourtant…

Un trait d’ombre de Sheogorath renvoyé par Mograine le frôla, interrompant les réflexions intérieures du paladin.
Il ne trouverait sans doute pas aujourd’hui les réponses à toutes ces questions, songea-t-il. Et peut-être même n’en aurait-il jamais l’occasion, pensa-t-il encore, lugubrement.
Car si ses compagnons semblaient avoir repris confiance en voyant le démoniste affronter le Généralissime avec cette lame surpuissante en main, Arràgon, lui, était d’un tout autre avis.

Après tout, il avait suffisamment forgé de lames par le passé pour le savoir.
Sheogorath n’était pas maître de la Thunderfury.

Face au Porteur de l’Ashbringer, son combat était perdu d’avance.

Sheogorath et Mograine continuaient à s’affronter sans relâche, sous les yeux ébahis des Saigneurs Ecarlates.
De rares exclamations d’encouragement fusaient parfois, mais la plupart des aventuriers restaient silencieux, trop estomaqués par l’intensité du duel pour tenter quoi que ce soit (d’autant que Sheogorath, sûr de lui, ne tenait visiblement pas à ce que ses compagnons interfèrent dans la bataille qui l’opposait au Généralissime).

Repoussant soudain son adversaire, le père d’Ivy fit un bond en arrière et se figea un instant, brandissant l’Ashbringer devant lui.
« Tu te débrouilles bien mieux que je ne l’aurais cru. » dit-il d’une voix calme. Il s’agissait pour lui d’un simple constat. L’homme ne semblait ni inquiet, ni même essoufflé par les passes d’armes qu’il venait d’échanger avec le démoniste.
« Je peux te retourner le compliment, Mograine, répondit Sheogorath sur le même ton.
- Le vainqueur de ce combat sera celui qui maîtrise le mieux son épée, déclara le Généralissime.
- Exact, répliqua immédiatement le démoniste.
- Alors il est temps que tu comprennes que cette lame n’est pas à toi !!! » tonna Mograine avec un sourire méprisant.

Il bondit sur le démoniste, lame en avant. D’un geste, Sheogorath para le coup, bloquant le tranchant de l’Ashbringer entre les deux lames de tonnerre qui composaient son arme. D’une torsion vive du poignet, il arracha l’épée de Mograine de la main de celui-ci. L’épée du Généralissime, après avoir tournoyé en l’air, se planta en vibrant dans le sol, plusieurs mètres plus loin, avec un bruit sourd.
Mograine se figea, fixant Sheogorath en écarquillant les yeux. Le démoniste pointa la Thunderfury vers la gorge de son adversaire avec un sourire supérieur.
« Tu disais ? » demanda-t-il doucement.
Son vis-à-vis ne répondit pas, fixant la Thunderfury avec attention.
Après quelques secondes, Sheogorath haussa les épaules.
« Comme tu voudras. » dit-il.
Il leva l’épée pour décapiter son adversaire, et abattit son arme avec fermeté.
Involontairement, tous fermèrent un instant les yeux, dans l’attente du son écœurant que ferait la tête tranchée du Généralissime en roulant à terre…
Mais rien ne se fit entendre.

Lorsqu’ils ouvrirent les yeux, les Saigneurs Ecarlates découvrirent Mograine, indemne, qui secouait doucement la tête en souriant d’un air machiavélique devant un Sheogorath stupéfait.
La Thunderfury, dans sa main, était différente. Les deux lames étaient plus translucides qu’avant, presque éthérées. Comme si… Comme si elles étaient en train de disparaître progressivement.
Incrédule, le démoniste fixait son épée, pétrifié de voir ainsi son arme perdre de sa matérialité.
« Je disais que tu n’es pas le Maître de cette arme, Sheogorath. » dit doucement Mograine.
Il leva distraitement la main en direction de l’Ashbringer, toujours plantée dans le sol à plusieurs mètres de lui.
Comme pour répondre à son appel, la lame s’arracha subitement de la pierre pour voler jusque dans la main du Porteur.
« Contrairement à moi, qui suis le véritable Porteur de l’Ashbringer. » ajouta-t-il avec le même calme effrayant.

[Zul’Aman, au même moment]

Lioness, en entrant à Zul’Aman, s’était attendue à une très forte opposition de la part des troupes trolles.
Après tout, elle et ses compagnons venaient de pénétrer dans la capitale des Amanis.
Et le fait que celle-ci paraisse, en comparaison, relativement déserte…
Tout cela n’était pas fait pour la rassurer.

Evidemment, elle se doutait que les Trolls des Forêts, décimés par son peuple lors de la Deuxième Guerre, étaient bien moins nombreux qu’avant.
Mais l’assaut qu’elle avait vu mener sur Lune d’Argent, quelques heures plus tôt, donnait l’impression qu’il y avait tout de même de nombreuses troupes fraîches en réserve quelque part. Le redoutable tacticien qu’était Zul’Jin n’aurait certainement pas lancé toute son armée à l’assaut d’un seul coup !
Non, il y avait autre chose. Plus elle y pensait, plus elle sentait grandir en elle le malaise qu’elle avait commencé à éprouver lorsqu’elle avait croisé le regard de l’œil unique du chef Troll.
Il y avait décidément quelque chose dans ce regard…
Elle en était sûre : il se tramait ici quelque chose d’extrêmement inquiétant.

La place centrale de Zul’Aman, ornée de quatre statues d’animaux, était vide, comme si Zul’Aman toute entière était abandonnée.
Loin devant le petit groupe, un gigantesque temple se dressait, menaçant, barrant le passage vers l’arrière de la cité. En dépit de la distance qui séparait le petit groupe du temple en question, il était clair que les portes d’entrées de celui-ci étaient fermées, et sans doute solidement barricadées.
Un petit sentier de terre semblait cependant partir de la place centrale vers les collines au sud-ouest, et Lioness, estimant au jugé la topologie du terrain, comprit rapidement que ce chemin faisait sans doute tout le tour des murailles de la cité pour finalement aboutir devant le temple. Ca et là, des barricades de pierre et d’épieux étaient dressées, mais de façon désorganisée, comme si les Trolls n’avaient pu se résoudre à abattre complètement la forêt qui envahissait la cité.
« Envahissait » n’était peut-être pas le mot juste, songea Lioness après un instant.
Les arbres et la végétation touffue semblaient presque constituer les remparts naturels de la capitale des Trolls des Forêts.
D’un geste, Lioness désigna le sentier à ses compagnons, mais elle s’arrêta net en voyant la chasseuse Azena, qui s’était approchée des statues au centre de la place, et les regardait avec inquiétude.
Elle rejoignit la trollesse, qui semblait ne pas l’entendre venir, perdue dans ses pensées. Lioness regarda à son tour les statues représentant un ours, un aigle, un faucon-dragon et un lynx, sans mot dire.
« Les Grands Esprits… murmura Azena. Que font-ils ici ? »

Une voix derrière eux rugit soudain, interrompant leurs réflexions :
« Gardes, bougez-vous !!! C’est l’heure du massacre… »

Lioness para le coup de hache de son adversaire, un guerrier troll affublé de peintures de guerres criardes, presque sans y penser.

Finalement, songea-t-elle, Zul’Aman n’était pas si déserte que cela. Les premiers gardes avaient dévalé le sentier, armes à la main, pour les écraser une fois pour toutes…
Et pourtant, Lioness ne pouvait s’empêcher de songer qu’ils étaient encore anormalement peu nombreux.

Plus haut, sur la butte, elle voyait un troll mesurant près de trois mètres, certainement leur chef, et donc sans doute l’un des lieutenants de Zul’Jin, qui hurlait de rage et de dépit, haranguant ses troupes qui tentaient d’arrêter l’avancée du petit groupe compact d’elfes.
« Gardes, allez !!! crachait-il. C’est quoi qui vous fait l’plus peur, hein ??? Eux… Ou moi ??? »
Lorsque le guerrier qu’elle affrontait s’effondra, mortellement touché, la Matriarche réalisa autre chose.
Dans le regard qu’il lui lança avant d’exhaler son dernier soupir, elle lut que le chef troll inconnu, là-haut, avait raison.
Même si elle venait de le tuer, ce n’était pas de Lioness que ce troll avait peur.
Mais de son chef.

« Ils ne font pas le poids ! » s’exclama Evamoyshion à ses côtés, reprenant son souffle en abattant le dernier de leurs adversaires.
Lioness acquiesça brièvement, avant d’ajouter :
« Méfions-nous.
- Mais… commença son interlocutrice.
- Tu l’as dis toi-même tout à l’heure, Evamoyshion, coupa doucement la Matriarche. C’est un piège. Ne soyons pas si pressés de tomber dedans. Il y a quelque chose d’anormal ici. »
Plus haut, juché sur sa barricade, le troll venait d’être rejoint par d’autres gardes qui se ruèrent sans attendre vers Lioness et ses compagnons, encouragés par les rugissements de leur chef :
« J’vais perdre ma patience !!! Allez, et rapportez des têtes à Nalorakk !!! ».

En entendant ce nom, Azena, qui se tenait à la droite de Lioness, se figea.
« Nalorakk… Le Dieu Ours ??? s’exclama-t-elle. Qu’est-ce que…
- Que dis-tu, Azena ? demanda Lioness, intriguée.
- Tu as raison, dit la chasseuse en tournant un visage alarmé vers la Matriarche. Il règne en ce lieu des magies bien plus sombres que tout ce que tu as pu connaître. »

[Lune d’Argent, au même moment]

Teela, du haut des remparts, contemplait la plaine devant la cité avec appréhension.
Malgré l’apparent retour au calme, elle ne comprenait toujours pas ce qui avait bien pu se passer.

La chute de Dame Sylvanas…
La trahison des Réprouvés…
Le siège de Lune d’Argent…

Et maintenant, l’inexplicable départ des morts-vivants, et l’assaut-éclair de trolls venus de l’est.

Dame Lioness était partie dans cette direction, en reconnaissance… Et n’était toujours pas revenue.
Le Duc Zverenhoff, lui aussi, était parti.
Elle soupira.

« Ne t’inquiètes pas, Teela. » dit une voix douce derrière elle.
Se retournant, l’aspirante reconnut Dame Eonys, l’une des professeurs les plus sages de l’Ordre. L’elfe lui adressa un sourire apaisant.
« Je ne sais pas pourquoi les Amanis ont choisi ce jour pour lancer leur assaut, continua-t-elle comme si elle avait lu dans les pensées de la jeune fille, mais Dame Lioness trouvera la réponse, j’en suis sûre. »

Teela acquiesça sans répondre. Elle regarda s’éloigner Dame Eonys, qui s’affairait déjà à organiser les premières réparations d’urgence des remparts de la capitale des Elfes.

Malgré la confiance que la paladin mettait en la Matriarche, Teela était inquiète.
Elle avait… un très mauvais pressentiment.

Et elle savait, pour leur malheur à tous, que dans ce genre de cas…

Elle se trompait rarement.

[Zul’Aman]

Lioness et ses compagnons étaient parvenus sans trop de difficultés au sommet de la structure en haut de laquelle s’était réfugié le chef troll.
L’opposition était virulente, certes, mais même la force brute des guerriers Trolls ne viendrait jamais à bout de l’habileté des elfes au combat armé.
Les lames elfiques dansaient autour d’eux, semant la mort chez leurs adversaires.

Juché sur ce qui ressemblait à un grossier trône de bois maladroitement taillé, le chef troll les toisait avec dégoût et fureur.
Lioness eut un sourire méprisant à son intention.
« Il semble que vous ayez encore des progrès à faire, Trolls, lança-t-elle. Vous n’êtes même pas capables de tenir tête à une poignée d’entre nous !!! »
L’intéressé, jetant un rapide coup d’œil sur les cadavres de ses derniers gardes, aux pieds des elfes, ne répondit que par un crachat de mépris.
« Tu crois que t’as une chance, elfe ? Les Amanis sont revenus, et on va régner sur le monde !!! Maint’nant… J’vais vous faire regretter d’être nés !!! »

Le troll se leva et s’approcha du groupe d’elfes d’un pas pesant, brandissant une gigantesque lame qui avait plus en commun avec un hachoir à viande qu’avec une épée.

Arrivé à moins d’un mètre du groupe d’aventuriers, un rictus supérieur se dessina sur son visage grimaçant. Mais soudain, une voix brisa le silence de mauvaise augure qui s’était installé, précédant le combat.
Celle d’Azena.
« Quel est ton nom, guerrier ? » demanda la chasseuse. Lioness, bien que sachant que leur nom revêtait une importance toute particulière pour les combattants trolls, jura intérieurement, songeant que le moment était mal choisi pour respecter les traditions de ce peuple de barbares.
La réponse de leur adversaire, cependant, ôta brutalement toutes les couleurs du visage de la jeune trollesse, tant elle paraissait inattendue.

« Le Chef m’a redonné un nom, dit-il en exhibant des dents pourries dans un sourire grimaçant. J’m’appelle Nalorakk.
- Que… Comment ??? bredouilla Azena, en écarquillant les yeux.
- T’as bien entendu, p’tite. » répéta leur ennemi tandis que son sourire s’élargissait encore.
Une bave verdâtre coula aux commissures de ses lèvres.
« Chuis Nalorakk, reprit-il tranquillement. L’Ours.
- La Bête ??? s’écria Azena. Comment peux-tu porter le nom du Dieu Ours ??? »

Le rire guttural du Troll des Forêts résonna, malveillant.

« Parce que… J’suis devenu l’avatar du Dieu Ours, petite fille.
- Mais c’est impossible !!! s’écria Azena, devant ses compagnons qui ne comprenaient pas un traître mot des échanges qui venaient d’avoir lieu. Une telle magie…
- C’est pourtant la vérité, Azena. » résonna une voix inconnue derrière eux.
En l’entendant, Azena tressaillit, mais ne se retourna pas tout de suite, au contraire de ses allés elfes.

Qui se trouvèrent face à un imposant tauren. Celui-ci s’avança lentement pour faire face au gigantesque Troll des Forêts. Nalorakk le laissa approcher, apparemment sans réagir.

« Le Tauren… Tyrrel ??? s’exclama Azena, au comble de la surprise, en tournant enfin son regard vers lui. Mais… Qu’est-ce que tu fais là ???
- Je pêchais dans les environs, répondit le nouveau venu avec un clin d’œil. Les lacs environnants fourmillent de poissons rares et…
- Tu mens toujours aussi mal, Tyrrel. » coupa Azena, non sans un léger sourire malgré la situation. L’espace d’une seconde, elle semblait avoir oublié l’horrible révélation que le Troll venait de faire.
Le tauren haussa les épaules, sans pour autant quitter Nalorakk des yeux.

« Qui es-tu ? demanda Lioness à leur nouvel allié. Un ami d’Azena ?
- On peut dire ça, répondit le dénommé Tyrrel. Je suis venu…
- A-t-il dit la vérité ? coupa Azena, blême, en désignant leur adversaire qui n’avait toujours pas bougé, se contentant d’observer patiemment le nouveau venu avec curiosité. Est-il… la Bête ??? »
Tyrrel acquiesça lentement, d’un air à la fois sombre et solennel.

Ce fut Nalorakk lui-même qui le dispensa de répondre.
« T’as du mal à l’croire, petite fille, lança-t-il. C’est normal. Mais j’vais te le prouver. Vous avez d’mandé la Bête…

Je vais vous donner la Bête !!! »

Soudain, le Troll se tassa sur lui-même, les yeux exorbités, tous les muscles crispés, tremblant de tous ses membres. Un rugissement bestial monta de sa gorge, tandis que tous les aventuriers reculaient d’un pas, éberlués par ce qu’ils voyaient se dérouler sous leurs yeux. Seul Tyrrel ne bougea pas, contemplant le spectacle, impassible, les yeux plissés par l’attention.
Le corps du Troll parut soudain grossir. Ses ongles devinrent griffes, son visage se déchira et s’allongea comme si quelque chose poussait sous sa peau, ses dents verdâtres devinrent des crocs menaçants, et une épaisse fourrure noire commença à envahir son corps. Il lâcha son arme qui tomba bruyamment au sol, inutile.

Quelques instants plus tard, ce n’était plus un troll, mais un gigantesque ours de plus de cinq mètres qui les dominait de toute sa hauteur, menaçant.

« Alors, les potes ? demanda l’ours en les observant d’un air gourmand, avant d’éclater d’un rire diabolique. Vous en pensez quoi ? »
- Comment est-ce possible ? murmura Azena, épouvantée, en contemplant la nouvelle forme de leur adversaire. Une telle magie… L’invocation des Grands Esprits Trolls… Qui aurait…
- Le sorcier-docteur, petite, répondit Nalorakk avec un sourire rusé horriblement humain, qui s’étira sur son visage bestial. C’est lui qu’a redonné la vie et la force à Zul’Jin, quand il s’est échappé. Il lui a pas rendu son bras, non… Il a fait bien plus.
- Quel sorcier-docteur ??? demanda aussitôt Azena, épouvantée. Qui pourrait être assez fou pour…
- Il veut plus qu’on l’appelle comme ça, maint’nant que j’y pense, reprit Nalorakk d’un ton songeur. C’est le Seigneur des Maléfices, aujourd’hui ! Comme notre Chef, il est devenu bien plus fort que tout ce que vous pouvez imaginer ! Malacrass, il vous écraserait comme des moustiques !!! Mais il aura même pas à se fatiguer. J’vais me charger de vous.
- Malacrass ??? s’écria Lioness en pâlissant à son tour, reconnaissant avec horreur un nom qu’elle aurait souhaité ne plus jamais entendre. Il est toujours en vie ??? »

A cet instant, un autre rire menaçant résonna, très fort, dans le silence mortel de Zul’Aman. Ce rire hideux semblait provenir des profondeurs de la cité des Trolls, et pourtant il semblait rebondir sur chacune de ses pierres, comme s’il était le rire de la capitale elle-même.
Lioness sentit un frisson la parcourir lorsqu’elle reconnut le propriétaire de la voix menaçante qui venait de s’élever.

« Ouais, pitite nelfe, cracha la voix du maléfique Malacrass. T’as cru que t’avais battu les Amanis, pas vrai ? T’as cru que tu m’avais tué, moi ??? Tu t’es trompée, pitite nelfe. Aujourd’hui, les esprits, ils vont festoyer. Nous, on est l’Ombre qui va s’abattre sur vous… »

[Remparts de Lune d’Argent, des années plus tôt, durant la Deuxième Guerre]

La terrible bataille faisait rage depuis plusieurs jours, sans que les Trolls ne donnent le moindre signe de fatigue.
Lioness, pâle et déterminée, dirigeait ce qui restait de ses troupes avec l’énergie du désespoir, priant pour un miracle.
Il était clair à présent que sans aide, Lune d’Argent allait être perdue. Les Trolls des Forêts étaient innombrables. Même si, pour un seul elfe qui tombait, c’étaient vingt Amanis qui perdaient la vie, leur surnombre aurait bientôt raison de l’opiniâtre résistance de la cité elfe.

A ses côtés, son amie de toujours, Sylvanas Windrunner, continuait à distribuer la mort à leurs ennemis, flèche après flèche, mais elle connaissait trop bien sa camarade pour ne pas deviner qu’elle aussi ne voyait plus d’issue à cette situation.
Le matin même, un rapide conciliabule avait eu lieu, réunissant les plus haut dirigeants de la cité : les deux Gardiennes des Tours, Liadrin et Lioness, les deux sœurs Windrunner restantes (Alleria et Sylvanas, l’absence de Vereesa se faisant cruellement ressentir en ces heures sombres) ainsi que leur frère Lirath, Lor’Themar Theron, le second de Sylvanas, le Magistère Rommath et son bras droit Dar’Khan Drathir. Le Prince Kael’Thas, de son côté, n’avait pu quitter la Flèche de Solfurie, occupé qu’il était à maintenir de toutes ses forces les courants arcaniques de la Cité pour conserver un semblant de protection magique sur les remparts déjà gravement mis à mal par les assauts trolls. A ce moment-là, il y avait seulement quelques heures, songea-t-elle amèrement, il restait encore de l’espoir.
Mais depuis, les choses n’avaient fait que se dégrader. Les Elfes avaient subi des pertes effroyables. Lirath Windrunner, comme beaucoup d’autres, avait été tué. Ainsi que le père de Liadrin et Lioness, qui, bien qu’il eût abandonné depuis longtemps son statut de Gardien des Tours, avait sacrifié sa vie dans ce combat sans espoir.
Lioness, abattue et démoralisée, regarda un instant avec consternation les larmes cristallines qui, coulant des yeux de son amie, accompagnaient chacune des flèches de Sylvanas dans leur trajectoire mortelle.

« Il faut tenter une sortie. » dit calmement Lioness à ses compagnons d’infortune.
Autour d’elle, des exclamations incrédules et épuisées résonnèrent, couvrant un instant les clameurs du terrible combat.
« Vous êtes folle !!! C’est du suicide ! » s’exclama Rommath, à ses côtés, se faisant la voix de tous. Le mage, épuisé, avait les traits tirés, mais les énergies bleutées qui crépitaient dans ses mains ne faiblissaient pas, malgré la blessure ouverte qui barrait son bras gauche. Ses rafales d’arcanes faisaient des ravages dans les rangs des trolls.
« Le seul moyen de faire tomber les Amanis, c’est de vaincre leur chef, reprit-elle. C’est Zul’Jin, et lui seul, qui maintient toute la cohésion des Trolls des Forêts, déclara-t-elle fermement. C’est lui, la tête de ce monstrueux serpent que nous devons couper !
- Je vous le répète, c’est de la folie !!! s’écria Rommath, les yeux brillants de colère et d’angoisse. Vous n’atteindrez jamais les bases trolles seule, et nous ne pouvons pas priver nos défenses des troupes qu’il vous faudrait pour vous frayer un minuscule passage jusqu’à Zul’Jin !!!
- Je n’ai pas besoin d’une armée, mais seulement de quelques volontaires, répondit calmement Lioness. Au contraire, en restant ici, nos troupes feront diversion.
- Quelques volontaires ! cracha Dar’Khan avec le mépris hautain qui lui était si familier, interrompant son Maître qui allait répondre. C’est complètement stupide… Vous tenez donc tant que cela à tuer notre fille, Dame Lioness ? Tenez-vous donc tant que cela à ce qu’elle ne voie jamais le jour ??? » ajouta-t-il avec hargne.
Le coup porta. Lioness pâlit et crispa les poings sur son ventre encore plat, sans répondre. Autour d’elle, tous ouvrirent des yeux stupéfaits devant cette révélation nouvelle… Sauf Sylvanas. La seule qui savait déjà que Lioness était enceinte. Elle faillit protester, mais d’un regard furtif, Lioness enjoignit la Générale Ranger de se taire.

De ne surtout pas prononcer le moindre mot.

Derrière elle, un elfe s’avança. Arràgon, évidemment, songea-t-elle. L’arc à la main, il ne semblait, comme à son habitude, nullement affolé malgré la situation.
Il posa lentement la main sur l’épaule de Lioness.
« Avec tout le respect que je vous dois, vous disiez déjà que les Trolls ne passeraient pas nos barrières magiques les plus éloignées, noble Dar’Khan, dit-il doucement. Et il semble que votre jugement ait été quelque peu hâtif. L’enfant de Dame Lioness verra le jour dans un monde en paix, et ce jour-là, nous lui dirons que sa mère est l’une des plus grandes héroïnes de notre peuple, reprit-il d’un ton assuré. Car dans quelques heures, c’est elle qui nous ramènera la tête de Zul’Jin.
- Je n’aurai jamais l’occasion de dire à ma fille à quel point sa mère était une pauvre folle inconsciente, vous voulez dire, Arràgon, coupa Dar’Khan d’une voix glacée, en s’approchant de Lioness, immobile, jusqu’à ce que leurs visages se frôlent. Puisque Dame Lioness a décidé de la tuer aujourd’hui. »
Le bruit sec d’une gifle résonna, très fort malgré les clameurs lointaines des combats. Dar’Khan recula en se tenant la joue, une grimace rageuse au visage, devant une Lioness pâle mais dont les yeux brûlaient de fureur.
Après un instant, Dar’Khan eut un petit rire sec.
« Vous étiez moins farouche lorsque vous partagiez mon lit, ma chère. » dit-il très distinctement, assez fort pour que tous l’entendent.
« Assez, résonna soudain le murmure télépathique épuisé que tous reconnurent avec surprise comme la voix de Kael’Thas Sunstrider. Dame Lioness a raison. Si nous ne faisons rien, la Cité est condamnée… Je ne pourrai pas maintenir nos boucliers encore très longtemps. C’est peut-être la dernière chance qu’il nous reste… »

Quelques minutes plus tard, Rommath, à contrecœur, commençait l’incantation qui allait transporter le plus loin possible de Lune d’Argent Lioness, l’archer Arràgon, la prêtresse Eonys, Alleria Windrunner (que la perte de son petit frère Lirath semblait avoir durement touchée, et qui voulait sa vengeance) et Solarian, l’une des meilleures apprenties de Rommath, qui serait le relais du Magistère pour canaliser les énergies arcaniques de l’autre côté du portail de téléportation. Dar’Khan, en effet, avait catégoriquement refusé de se lancer dans ce qu’il considérait comme un pur suicide collectif, malgré le coup d’œil réprobateur que lui avait lancé son vieil ami, Lor’Themar Theron.

Sylvanas, bien entendu, avait elle aussi voulu accompagner son amie, mais en tant que Générale Ranger, elle se devait de rester à Lune d’Argent jusqu’au bout. Alleria vengerait Lirath pour elles deux. Et même elles trois, si l’on comptait Vereesa.
Sylvanas Windrunner et Dame Liadrin regardèrent un long moment Lioness avant que celle-ci ne disparaisse.
« Tous les vœux de Lune d’Argent t’accompagnent, Lioness, murmura Sylvanas à son amie de toujours, la fixant droit dans les yeux. La survie de notre peuple… L’avenir de nos enfants… dépendent de toi. »

Puis, lorsque le petit groupe eut disparu, Dame Liadrin posa les yeux sur Dar’Khan Drathir, remonté sur les remparts pour propulser ses traits d’arcanes sur leurs assaillants, et qui avait ostensiblement tourné le dos à l’expédition envoyée derrière les lignes ennemies.
Sylvanas Windrunner suivit son regard, et posa une main sur l’épaule de la sœur de Lioness.
« Quel immonde personnage ! soupira Liadrin en secouant la tête, lasse. Est-ce possible ? Ma sœur a-t-elle pu se lier avec un individu pareil ? ».
Après un moment, Sylvanas répondit doucement :
« C’est peut-être mieux ainsi, mon amie. Lioness a ses raisons de n’avoir rien dit jusque-là. Et de très bonnes raisons, soyez-en sûre. C’est à elle, et à elle seule, de décider si elle veut révéler toute la vérité sur Oniri… Ou si elle préfère laisser Dar’Khan continuer à médire sur elle.
- Oniri ? demanda Liadrin, sans comprendre.
- C’est ainsi que se nommera votre nièce, répondit Sylvanas avec un sourire. Ses parents ont choisi ce nom ensemble. Qui signifie…
- « Secret »… compléta Liadrin, songeuse. Mais… Pourquoi l’avoir appelée ainsi ? » demanda-t-elle, intriguée.
Sylvanas Windrunner garda le silence, soutenant sans faiblir le regard inquisiteur de Dame Liadrin.

« Sans doute un jour, saurez-vous toute la vérité, Dame Liadrin, finit-elle par murmurer avant de faire demi-tour en direction des remparts de Lune d’Argent.

Mais ce n’est pas à moi de vous la révéler. »

Atteindre Zul’Jin s’était finalement avéré plus facile que prévu, songea Lioness.
Ses prévisions s’étaient avérées justes : les Trolls des Forêts avaient beau être unis sous la bannière du charismatique Zul’Jin, ils n’en restaient pas moins un peuple barbare et stupide, incapable de la moindre stratégie militaire un tant soit peu élaborée. Ils se contentaient de lancer des assauts furieux, vague après vague, vers les murailles de Lune d’Argent, qui leur restaient encore infranchissables pour l’instant, sans se soucier un seul instant de protéger leurs bases arrières.
Cela étant, songeait la Matriarche, on ne pouvait en vouloir à Zul’Jin par rapport à cette relative faiblesse de défense : il avait déjà réussi l’exploit, là où tous les autres avaient échoué avant lui, de coordonner ensemble les offensives des différentes tribus trolles pour en faire cette terrifiante force de frappe.
Et puis, pensa-t-elle avec inquiétude, Zul’Jin était lui-même réputé comme suffisamment puissant pour ne pas avoir besoin de garde rapprochée.

La rematérialisation du petit groupe d’elfes s’était faite à quelques centaines de mètres derrière les lignes ennemies, juste assez loin pour être hors de vue des assaillants. Par bonheur, Rommath et Solarian semblaient avoir extrêmement bien calculé leur point d’arrivée.
Les talents de pisteuse d’Alleria Windrunner leur avaient aussitôt permis de partir en direction de ce qui paraissait être le camp de commandement des Trolls des Forêts.
Du reste, il n’aurait pas été bien difficile de le trouver, du fait de la présence à cet endroit du gigantesque édifice de bois décoré aux bannières des Trolls des Forêts et surmonté d’un trône de pierre d’aspect lugubre, qui servait au chef de guerre troll pour haranguer ses troupes.

Tandis que Lioness et ses compagnons s’approchaient silencieusement, ils purent rapidement repérer la présence de deux trolls au milieu de ce campement étrangement désert, occupés à étudier consciencieusement une carte rudimentaire dessinée à la hâte sur une peau d’ours.
L’un d’eux était Zul’Jin. Lioness reconnut immédiatement sa longue chevelure blanche et l’éternelle écharpe violette crasseuse qui lui masquait le bas du visage. On racontait que pas un de ceux qui avaient eu l’occasion de voir le visage entier du Seigneur Troll n’était encore vivant pour en parler.
Le compagnon de Zul’Jin était un troll qui, nota Lioness avec inquiétude, rayonnait d’une aura plus noire que tout ce qu’elle avait déjà pu rencontrer auparavant. Le surplis violet-noir qu’il portait, lugubrement orné d’ailes de chauve-souris géantes, luisait étrangement dans l’air du soir.

Ni l’un ni l’autre ne semblaient avoir perçu l’arrivée du petit groupe d’elfes. Ne voulant prendre aucun risque, Alleria se hâta de se coordonner avec Arràgon pour se positionner afin de prendre leurs adversaires entre leurs tirs croisés, les deux elfes se déplaçant le plus silencieusement du monde tandis que Lioness et ses compagnons se préparaient à l’attaque-surprise qui suivrait les premiers tirs des deux archers.
Hélas, lorsque les flèches d’Alleria Windrunner et d’Arràgon, décochées au même instant, furent simultanément attrapées en vol par les mains de Zul’Jin, Lioness comprit qu’il faudrait totalement oublier le concept de surprise dans le terrible affrontement qui allait avoir lieu.

« On a d’la visite, on dirait, Chef, commenta simplement le deuxième troll en se retournant, cherchant ses adversaires, mais sans la moindre trace de surprise ou d’inquiétude dans la voix.
- Ouaip, Malacrass. On dirait bien. » répondit Zul’Jin de sa voix traînante, en laissant tomber au sol les deux flèches avec désintérêt.
Le Chef, désignant successivement la pleine direction où se trouvaient les elfes, ajouta :
« Il sont cinq. Trois femelles devant nous, à trois cents pieds… Une autre femelle au sud, à huit cents pieds… Et un autre à huit cents pieds au nord… ». Inexplicablement, Zul’Jin s’interrompit, intrigué. Il marmonna : « Etrange… C’est un mâle, mais il n’est pas comme les autres… »
Il haussa les épaules, avant d’ordonner : « Inutile de vous cacher, elfes ! Montrez-vous !!! »
A ses côtés, Malacrass leva la main devant lui, tandis qu’un petit nuage noir commençait à s’y matérialiser. L’énergie noire qui l’entourait parut soudain tripler d’intensité.
« Ouais, ajouta-t-il avec un sourire mauvais. Viendez, pitis nelfes. On va s’occuper d’vous. »

Theme : Rob Dougan – Chateau
https://www.youtube.com/watch?v=2iyOB1LqOok

Le combat durait maintenant depuis de longues minutes.
Lioness, Arràgon et Alleria tentaient tous trois d’éviter les assauts furieux du vicieux Zul’Jin, tandis qu’Eonys et Solarian tentaient de leur mieux de contrer les terrifiantes rafales d’énergie noire projetées par le sorcier-docteur Malacrass.
Après plusieurs essais infructueux, Alleria et Arràgon avaient en effet dû se résoudre à abandonner leurs arcs : impossible, même pour l’archère émérite qu’était Alleria Windrunner, de toucher Zul’Jin de ses flèches… Et Malacrass, lui, semblait manipuler de sombres forces mystiques qui avaient dévié sans exception tous les projectiles qui lui avaient été lancés. Et il en avait été de même avec les lames dont ils avaient tenté de percer le sorcier-docteur, qui les avait repoussé sans effort apparent, avec un rictus moqueur.

Zul’Jin, de son côté, avait bien mérité sa réputation de plus terrible combattant Troll depuis des décennies. Malgré sa taille imposante, Lioness n’arrivait pas à ne serait-ce qu’effleurer son adversaire. Elle avait l’impression de se battre contre un gigantesque serpent, agile et vif comme l’éclair, mortellement dangereux, qui esquivait avec une facilité effarante les attaques de plus en plus désespérées que lui portaient les trois combattants. Plus d’une fois, les redoutables faucilles jumelles qu’il maniait avec aisance avaient bien failli les décapiter tous les trois dans le même mouvement. Tous ses gestes étaient d’une souplesse comme Lioness en avait rarement rencontré, et dotés d’une horrible grâce presque féline, qu’elle aurait admiré s’il ne s’était pas agi là d’un de leurs adversaires les plus mortels.

Soudain, Malacrass parut se lasser de malmener uniquement Eonys et Solarian, que l’épuisement commençait à gagner. Les deux femmes avaient pris le relais des tentatives infructueuses d’Alleria et d’Arràgon, mais même leurs traits magiques les plus puissants ne semblaient pas capables d’inquiéter réellement le redoutable sorcier troll, même si celui-ci avait dû plusieurs fois lancer ses propres attaques pour contrer la magicienne et la prêtresse .
« Ca prend trop d’temps, Chef ! cria-t-il. On a aut’chose à faire que d’écraser ces moustiques !!! »
Zul’Jin, sans cesser de combattre, lança un coup d’œil à son camarade.
« Et tu proposes quoi, Malacrass ? demanda-t-il. Tu veux encore…
- Ouaip, coupa le sorcier docteur en regardant tranquillement l’un des traits de feu de Solarian s’écraser et mourir sur la barrière magique qu’il avait dressée autour de lui. Comme ça, on en finit vite fait avec eux, et on réexpédie leurs têtes à leurs copains derrière leurs murs !!!
- Si tu y tiens tant que ça, répondit le Chef Troll en haussant distraitement les épaules. J’avais besoin de me dégourdir… Mais t’as raison, on n’a pas de temps à perdre. »

Avec un sourire sinistre, Malacrass s’inclina rapidement devant son chef, avant de lever les bras devant lui. Une énergie noire inconnue commença subitement à pulser entre ses mains jointes, qui attira aussitôt l’attention des elfes. Ils n’avaient jamais ressenti un malaise pareil. Ce Malacrass était bien plus dangereux que les autres sorciers-docteurs de son peuple… Il maniait des énergies contre-nature. Soudain, Lioness fut traversée d’un inexplicable douleur, et ressentit une étrange faiblesse la gagner. Les yeux crispés par la souffrance, elle s’aperçut néanmoins que ses compagnons semblaient frappés du même mal qu’elle. Mais c’est lorsqu’elle posa à nouveau les yeux sur Zul’Jin qu’elle comprit à quel point la situation se compliquait. Car le meneur des Amanis, qui la toisait maintenant avec une avidité presque animale, avait changé.

Il était indéniablement devenu…

Plus grand.

Lioness et ses compagnons étaient tétanisés.
Depuis que Malacrass avait commencé ses dernières incantations, Zul’Jin avait gagné un bon mètre, tandis que tous les cinq éprouvaient un épuisement qui ne pouvait être naturel, malgré leur terrible lutte. Comment un tel phénomène était-il possible ?
Elle se reprit. Ce n’était vraiment pas le moment de céder à la panique. En un instant, profitant de l’inactivité de Zul’Jin qui prenait son temps pour savourer leur surprise, elle sonda mentalement les courants arcaniques de la scène. Et réalisa avec horreur qu’un lien parasite, ténu mais indéniable, les liait tous à Malacrass… et qu’un autre lien, beaucoup plus intense celui-là, reliait le sorcier-docteur à son chef.

Et subitement, elle comprit ce qui était en train de se passer.
« Il nous vole notre puissance… » murmura-t-elle.

En un éclair, elle se tourna vers ses compagnons et tonna, d’une voix qui ne souffrait pas la contradiction, et qui avait déjà fait reculer plus d’une fois ses opposants à Lune d’Argent, même le Prince Kael’Thas :
« Vite !!! Abattez Malacrass !!! Il nous vole notre énergie… Et il la donne à Zul’Jin !!! »

En entendant les paroles de Lioness, le sorcier-docteur marqua un temps d’arrêt, la foudroyant du regard, un rictus de pure haine lui tordant les traits.
« Quoi ??? s’écria-t-il. Comment qu’elle a compris, celle-là ???
- Pas grave, Malacrass, rétorqua Zul’Jin d’un ton tranquille qui fit frissonner la Matriarche. J’vais pas les laisser faire. »

Obéissant à Lioness, tous se ruèrent à l’assaut de Malacrass, dans l’espoir de briser au moins sa concentration et la magie qu’il canalisait pour son chef. Lioness éprouva un fugitif instant de soulagement en voyant ses compagnons agir, et se prépara à foncer à nouveau sur Zul’Jin, pour l’empêcher d’intervenir comme il menaçait de le faire.
Malheureusement, avant qu’elle ait pu esquisser le moindre mouvement, le Chef des Amanis avait bondi, vif comme l’éclair, et ses lames acérées avaient transpercées Solarian et Eonys. Les deux femmes contemplèrent, incrédules, les blessures qui leur barraient la poitrine, avant de s’effondrer à terre, la même expression d’incompréhension douloureuse gravée sur le visage.
Zul’Jin n’était pas seulement devenu plus grand, songea Lioness avec effroi. Le sortilège de Malacrass l’avait également rendu mortellement rapide.
Un nouveau haut-le-cœur douloureux la traversa, tandis que la magie du sorcier-docteur continuait ses ravages. Le regard trouble, le sang aux lèvres, elle sentit plus qu’elle ne vit réellement ses deux compagnons encore debout, Alleria et Arràgon, s’effondrer à leur tour, terrassés par les maléfices de l’impitoyable Malacrass. Dans le brouillard sanglant qui lui tenait maintenant lieu de champ de vision, Lioness réalisa qu’encore une fois, Zul’Jin, ayant absorbé leurs forces, avait grandi. Le rire menaçant du meneur Amani se fit entendre, très fort sur le campement désert.

Une troisième vague de magie la jeta elle aussi à terre, devant un Zul’Jin triomphant, qui ne prenait même pas la peine d’achever ses ennemis, satisfait qu’il était de les voir se tordre à ses pieds.
« C’est comme ça que périront tous les ennemis des Amanis !!! » tonna-t-il, sûr de lui, comme s’il lançait un défi à la terre entière.
Une main tremblante effleura l’épaule de Lioness. Elle reconnut Arràgon. L’elfe, aux portes de la mort, s’était cependant rapproché suffisamment de la Matriarche pour la toucher. Soudain, elle entendit la véritable voix de son compagnon dans son esprit. Cette voix qu’elle avait déjà entendue, autrefois, lorsqu’elle découvert le secret d’Arràgon.
« Souviens-toi de ce que je t’ai dit, Lioness. Les Fleuves des Arcanes sont forts et furieux, mais ils s’épuisent, et nul ne peut en maîtriser éternellement la puissance. Le pouvoir de la Lumière, en revanche, est infini. » disait-il.
Elle se redressa péniblement. Oui… Elle venait de comprendre.
Malacrass était en train de se piéger lui-même, aveuglé par sa soif de pouvoir.

« Nous ne sommes pas… encore morts !!! répondit péniblement Lioness, en crachant son sang. Les Elfes ne s’avoueront jamais vaincus face aux Trolls ! »
Elle se redressa péniblement, chancelante, ses yeux verts brûlant d’une fureur sacrée qui jeta le trouble même dans l’esprit de Zul’Jin.
« Si c’est de la puissance que tu veux, marmonna-t-elle en toisant Malacrass, je vais t’en donner. Tu vas goûter à la fureur des enfants de Quel’Thalas !!! »

L’aura de Lioness commença à flamboyer, sous les yeux incrédules des deux trolls. Le rictus gourmand qui apparut sur le visage de Malacrass ne laissait cependant aucun doute sur ses intentions : il allait voler à la jeune elfe cette énergie qu’elle était assez idiote pour concentrer pour les attaquer, jusqu’à la dernière goutte !!!
Le sorcier-docteur sentit le lien invisible qui liait l’elfe à sa propre aura se réchauffer sous l’effet de l’afflux d’énergie qu’il était en train de lui voler. Une énergie à la fois douce et puissante, qui assurerait au Chef Zul’Jin une victoire éclatante. Malacrass était malgré lui presque fasciné, et pour tout dire assez surpris par la puissance de leur adversaire… Comment une simple elfe pouvait-elle détenir autant d’énergie vitale ? Que cachaient réellement les yeux verts de la jeune femme qui les foudroyaient du regard, malgré sa mort imminente ? Que…
Un instant.
Soudain, Malacrass fut pris d’un sentiment de malaise irrépressible, que Zul’Jin, ouvrant un œil soupçonneux, parut percevoir sans en comprendre l’origine.
La chaleur de leur lien magique était devenue fournaise.
« Qu’est-ce que… » commença-t-il. L’énergie continuait à affluer vers lui, énergie qu’il tentait d’insuffler à Zul’Jin…

Mais… Il y en avait…
Trop.

Trop d’énergie.
Comment était-ce possible ??? songea-t-il, effaré. La douleur commença à se faire sentir dans son corps et son esprit. Il avait chaud, beaucoup trop chaud. Il voulut rompre ce lien brûlant qui la reliait à l’elfe… Mais soudain, le malaise se fit angoisse.
Impossible de couper le lien entre lui et l’elfe.
Sous les yeux écarquillés de Malacrass, l’aura de Lioness, invisible pour tout autre que lui, parut tripler de volume, tandis que de fins traits d’une lumière blanche et or commençaient à rayonner dans toutes les directions autour d’elle. Le sorcier-docteur vit avec horreur ceux-ci s’enrouler autour du lien qui les reliait, pour l’emprisonner dans leur clarté aveuglante.
La chaleur devenait insupportable autour de Malacrass. Sans pouvoir y croire, le troll vit ses vêtements, puis ses propres mains prendre feu. La douleur était immense, intense, brutale. Il voulut hurler, mais sa langue elle-même avait pris feu dans sa bouche, brûlée par ce véritable torrent énergétique qui se déversait en lui tel une avalanche furieuse. Le sorcier-docteur, devenu une véritable torche humaine, tomba à terre, masse enflammée agitée de quelques soubresauts, en lançant un dernier regard à la fois désespéré et incrédule à son Chef.
Zul’Jin avait contemplé le spectacle, stupéfait, tandis qu’il retrouvait sa taille normale, privé de l’afflux énergétique de son second.
Malgré la perte de Malacrass, il n’avait pas bougé, même s’il toisait le cadavre fumant de son aide de camp avec une visible fureur mêlée d’ incrédulité.
Lorsqu’il tourna à nouveau son regard jaune sale vers Lioness, c’était toute la haine séculaire des Trolls pour les Elfes qui se lisait dans ses yeux.

Arràgon, à terre, épuisé, regardait Lioness avec soulagement et sérénité. Il réussit à sourire légèrement. Malacrass, assoiffé de puissance, était bel et bien tombé dans le piège de l’elfe, incapable de se rendre compte de la quantité phénoménale d’énergie dont disposait la jeune femme.
Lioness et sa sœur Liadrin avaient tellement de potentiel en elles, songea-t-il… Elles seules pourraient, un jour peut-être, sauver leur peuple de la mortelle dépendance à la magie dans laquelle celui-ci était lentement en train de sombrer.
A condition, évidemment, qu’elle réussisse aujourd’hui l’exploit de se débarrasser du terrible Zul’Jin, qui même privé du renfort de Malacrass restait un adversaire plus que mortel.

« Pas mal, commenta simplement Zul’Jin, les bras croisés. J’pensais pas qu’tu pourrais piéger Malacrass comme ça. T’es forte, elfe.
- Et j’en ai autant pour toi, Zul’Jin, lança Lioness d’une voix de défi, où elle espérait que l’épuisement ne s’entendait pas trop. Approche !!! »
Le meneur Amani se contenta de hausser les épaules.
« T’as pas compris, elfe, dit-il en secouant la tête, ses yeux brillant d’un reflet menaçant. La magie de Malacrass était puissante, c’est vrai… Mais j’ai pas besoin de lui pour vous massacrer ! Tu sais pas qui je suis, ou quoi ? J’suis le Chef des Amanis !!! Et tu vas comprendre ce que ça veut dire ! Oh, oui, ajouta-t-il d’une voix menaçante. T’inquiètes pas, tu vas vite comprendre.
- Alors il va falloir que tu m’expliques aussi ! » dit soudain la voix d’Alleria Windrunner sur sa droite. Le Troll se tourna vers l’archère, qui s’était relevée péniblement, et le fixait comme pour le foudroyer sur place.
« Dans ce cas… nous serons trois. » résonna à son tour la voix d’Arràgon, qui se relevait lui aussi.

Zul’Jin considéra l’un après l’autre les trois elfes encore debout, une grimace de haine se devinant sous son écharpe violette.
Puis, il empoigna ses faucilles acérées, et leur fit décrire quelques moulinets compliqués avec une rapidité de mauvaise augure.
« Ca tombe bien, ricana-t-il. Comme ça j’aurai pas à répéter. »

D’un bond, il fut sur Arràgon, le plus proche de lui. La lame du Troll entailla profondément l’archer elfe, le projetant loin en arrière dans une vaste gerbe sanglante. Plus vif que l’éclair, le Troll se retourna pour dévier d’un seul mouvement les trois flèches expédiées par Alleria depuis sa position, envoyant les projectiles se perdre dans le ciel.
De l’autre main, il bloqua l’arme de Lioness, qui trébucha, emportée par son élan. D’un large bond en arrière, Zul’Jin se mit hors de portée, avant de se ramasser sur lui-même, lames croisées devant lui, prêt à un nouvel assaut.
Son regard hésita quelques instants entre ses deux cibles, avant de se poser sur Alleria qui préparait déjà une nouvelle volée de flèches. En une seconde, sa décision fut prise et il bondit vers l’archère. Celle-ci, qui avait parfaitement compris les intention de leur ennemi, lâcha la corde de son arc, lançant trois traits meurtriers, destinés non pas à toucher Zul’Jin mais à le faire dévier de sa trajectoire.
Celui-ci, malgré son élan, frappa le sol d’une main, et roula sur lui-même telle une torpille pour passer entre les projectiles d’Alleria. Il commença à sourire devant la surprise de l’archère… Mais son sourire naissant se figea soudain lorsqu’il comprit que ce n’était pas son esquive qui avait stupéfait Alleria Windrunner. Instinctivement, il se baissa et évita d’un cheveu deux des flèches de l’archère, qui avaient inexplicablement fait demi-tour pour tenter à nouveau de frapper leur cible !!! Ayant manqué leur cible, les deux projectiles se plantèrent dans le sol en vibrant, avant d’y décharger un éclair de pure énergie si intense que le sol fut immédiatement craquelé et brûlé à plusieurs mètres à la ronde, et de se volatiliser comme si Alleria ne les avait jamais tenues en main.
En se retournant, Zul’Jin vit Arràgon, à nouveau debout au milieu de la flaque de son propre sang, dont les mains et les yeux scintillaient d’une étrange énergie bleutée. C’était lui qui semblait diriger les flèches d’Alleria de cette manière si inattendue.
« C’est bien c’que je pensais, lança le Troll. T’es pas tout à fait comme les autres, toi. »
Derrière lui, Alleria semblait tétanisée.
« Des flèches d’anti-magie… Comment peut-il les manipuler ainsi ??? » murmura-t-elle, effarée.

L’étrange éclat qui brillait dans les yeux d’Arràgon faiblit soudain. L’archer tomba à nouveau à genoux, à bout de forces, tentant vainement de reprendre son souffle.
Alleria, tentant de se reprendre, dégaina son épée et bondit sur Zul’Jin, mais celui-ci, d’un large revers du bras, cueillit l’elfe en plein vol et l’envoya s’écraser sur un tronc d’arbre, plusieurs mètres en arrière, lui brisant plusieurs côtes. Sonnée par le choc, elle tenta de se relever, sans succès, paralysée par une atroce douleur.

Le Meneur des Amanis, sans s’intéresser davantage à elle, se retourna juste à temps pour bloquer à nouveau la lame de Lioness, qui s’était ruée sur lui sans s’attarder sur le surprenant phénomène qui venait d’avoir lieu.
Au lieu de dévier le coup, cette fois, l’imposant Troll commença un duel de force contre l’elfe, qui eut l’impression de se heurter de plein fouet à un mur de pierres. La force de Zul’Jin était proprement herculéenne, songea Lioness. A ce rythme-là, elle n’allait pas tenir longtemps. Elle tenta cependant de résister de son mieux, lame croisée contre celles de son adversaire, dans un atroce grincement de métal.
Celui-ci, sûr de sa supériorité physique, appuya plus fort, surplombant l’elfe de toute sa hauteur. Encore quelques instants et elle cèderait, songea-t-il. Alors, c’en serait fini d’elle. Puis, il s’occuperait de l’autre fille… Et il garderait l’étrange mâle pour la fin. Peut-être même, après tout, le garderait-il en vie jusqu’à ce que ses sorciers aient compris comment il arrivait à utiliser cette magie inconnue. Car Zul’Jin, même s’il n’en montrait rien, devait le reconnaître : il n’avait jamais rien vu de pareil.

« Tu fatigues, elfe, lança-t-il d’un ton railleur à l’intention de son adversaire, dont la lame, malgré ses efforts désespérés, ployait de plus en plus visiblement face aux lames croisées du chef de guerre Troll. T’en as plus pour longtemps. »
Lioness, épuisée, tomba à genoux, sous la pression des lames de Zul’Jin. Ses dernières forces la quittaient peu à peu. C’en était fini. Elle allait périr ici, avec ceux qu’elle avait eu la folie d’emmener dans cette expédition insensée, cette tentative de la dernière chance de décapiter l’armée des Trolls. Lune d’Argent allait tomber…
Une larme coula tandis qu’elle songeait à sa chère cité, le seul refuge que leur peuple déjà plusieurs fois millénaires avait pu trouver sur les terres hostiles d’Azeroth. Cette cité pour laquelle son père avait aujourd’hui donné sa vie, lui qui avait toujours caressé le rêve de vivre en paix, malheureusement contraint de par son statut de Gardien des Tours à prendre les armes bien plus souvent qu’il ne l’aurait souhaité.
Elle songea à leurs alliés du peuple des Hommes, si loin à présent, qui ne pourraient rien pour enrayer la chute des Elfes malgré la fragile alliance qu’ils avaient créée avec eux.
Elle songea à son peuple, ses frères et sœurs de sang, dont les espoirs allaient être brisés ce soir.
Elle songea à Sylvanas Windrunner, son amie de toujours, qui tomberait elle aussi pour avoir voulu partager le même rêve de paix et d’harmonie que le reste des enfants de Quel’Thalas.
Elle songea à sa fille, Oniri, celle qu’elle portait en son sein, et qui ne verrait jamais le jour pour achever la tâche que Lioness avait engagé pour le bien des siens.

Et soudain, elle entendit la voix d’Arràgon résonner, étrangement fort bien qu’il ne s’agisse que d’un murmure :
« Ton rêve peut encore s’accomplir, Lioness. Tout repose sur ton choix, à présent. Accepteras-tu ta mort et celles des tiens, ou continueras-tu à te battre pour que ta fille puisse vivre en paix dans le royaume de Quel’Thalas ?

L’avenir de ton peuple est entre tes mains. »

Lioness redressa la tête, serrant les dents, des larmes furieuses roulant sur ses joues.
Ses yeux se mirent à flamboyer comme jamais.

Non, songea-t-elle. Elle n’abandonnerait jamais son peuple à un si funeste destin.
Elle sentit monter en elle une vague d’énergie plus puissante que tout ce qu’elle avait jamais pu manipuler jusque-là.
Le pouvoir de la Lumière est infini, avait un jour dit Arràgon. Elle commençait seulement à comprendre à quel point il avait raison.

« Quoi ? s’étrangla Zul’Jin, stupéfait. C’est quoi, cette magie-là ??? »
Il regardait sans y croire ses lames croisées, qui à leur tour reculaient sous la force surnaturelle qui avait subitement envahi de son adversaire.
Une chaleur anormale s’éleva soudain tout autour de l’elfe. Eberlué, il vit l’air autour d’elle s’enflammer sous ses yeux, mais ces flammes étaient trop blanches et lumineuses pour être naturelles.
Et au milieu de cette tornade de flammes, les yeux verts de Lioness brûlaient encore plus fort.
Des serpents d’un feu si intense qu’il en était presque solide zébrèrent l’air autour d’elle, et Zul’Jin, complètement impuissant, ne put empêcher l’un d’eux de transpercer son œil droit, le crevant dans un éclair de douleur monstrueux qui fit rugir le Troll.
Refusant malgré la perte d’un œil d’abandonner le combat, le Troll repoussa Lioness dans un suprême effort, lui arrachant son arme des mains, qui alla se planter au sol en tournoyant, à plusieurs mètres d’elle. Levant haut ses lames, il les abattit avec un hurlement de rage et de triomphe mêlés, dans le but de décapiter son adversaire de ses lames croisées.
Hurlement qui s’interrompit d’un coup, tandis que son œil maintenant unique s’écarquillait de stupeur.
L’elfe venait de bloquer les deux lames à mains nues, sans cesser de fixer Zul’Jin de ses yeux verts brûlants de fureur. D’un geste, elle tordit les deux épées, les brisant comme s’il s’agissait de brindilles. Elle enchaîna immédiatement avec un coup de poing d’une violence inouïe au plexus du gigantesque troll, lui coupant le souffle et le mettant à genoux. Crachant, toussant, Zul’Jin était encore en train de chercher à reprendre son souffle, lorsque le deuxième poing de Lioness le cueillit au menton d’un uppercut ravageur. Projeté en l’air (et perdant quelques dents par la même occasion), le meneur des Amanis parut voler pendant quelques secondes, avant de s’écraser au sol avec fracas. Lorsque la poussière soulevée par la chute du monstre fut retombée, Alleria et Arràgon purent contempler le spectacle de Zul’Jin, inerte au sol, et de Lioness, immobile devant lui, qui contemplait son adversaire sans rien dire tandis que le feu étrange qui avait brûlé en elle s’éteignait lentement.

« Bien joué, Lioness. » dit Arràgon d’une voix douce en se relevant.
L’intéressée ne répondit pas. Elle tournait le dos à son compagnon, et seule Alleria Windrunner, dans l’état de conscience semi-comateux qui était le sien, assista alors à une scène inattendue : la main d’Arràgon se mit à scintiller d’une lueur bleutée, tandis qu’une aura extrêmement puissante se dégageait soudain de lui, pendant un instant si ténu qu’elle crut avoir rêvé. Il la posa sur sa poitrine, sur l’affreuse balafre que lui avait faite Zul’Jin… Et celle-ci, en un instant, se résorba jusqu’à disparaître.
Sous les yeux incrédules d’Alleria, certaine que ses sens ne l’avaient pas trompée malgré la douleur, Arràgon s’approcha de Lioness pendant que l’archère, oubliant la souffrance sous le coup de la surprise, se relevait.
Enfin, la sœur de Liadrin se retourna et regarda Arràgon.

« Encore une fois, ça n’est pas passé loin. » dit celui-ci avec un léger sourire que Lioness lui rendit. La main droite d’Arràgon se mit à nouveau à scintiller, tandis que les couleurs semblaient revenir sur les joues d’Eonys et de Solarian, toujours inconscientes près d’eux.
Alleria Windrunner, de son côté, s’était lentement approchée de l’archer, stupéfaite de ce qu’elle venait de voir. Même pour elle dont la maîtrise des Arcanes n’était pas le domaine de prédilection, loin de là, l’aura qui avait un instant rayonné de l’elfe était proprement hallucinante…
Pour ne pas dire impossible.
Arràgon ne pouvait être un elfe.
Du moins… Pas seulement.

Et dans le sourire que Lioness avait rendu à son compagnon, Alleria avait d’un seul coup réalisé que celle-ci était parfaitement au courant de la nature si particulière d’Arràgon.
Et soudain, prise d’une inspiration subite, elle comprit.
Elle sut qui il était.
Elle voulut parler, même si la stupéfaction lui avait ôté toute phrase cohérente de la bouche… Mais ce fut Lioness qui parla la première, sans pour autant quitter Arràgon des yeux.

« Tu ne dois jamais révéler ce que tu sais à présent, Alleria, dit-elle. Arràgon… doit rester l’un des nôtres.
- Qui… Qui d’autre sait ? Qui est au courant que… demanda l’archère avant de s’interrompre, trop éberluée pour continuer.
- Uniquement ta sœur Sylvanas, répondit doucement celui qui prétendait s’appeler Arràgon, en tournant vers elle un regard étrangement serein.
- Mais… Pourquoi ? demanda-t-elle encore. Pourquoi ne pas révéler…
- Parce que je n’ai pas le droit d’être ici, répondit l’intéressé. J’ai transgressé tous les interdits, car j’ai juré de protéger ce monde par tous les moyens… Mais si ma présence en Azeroth est un jour découverte, elle attirera sur tous les êtres vivants de cette terre une menace bien plus terrible qu’un millier de Zul’Jin.
- Que… De quelle menace parles-tu ??? demanda Alleria, alarmée.
- De mon père. » répondit Arràgon d’un air sombre.
Eonys gémit à cet instant en tentant d’ouvrir les yeux, interrompant là les révélations de leur étrange compagnon.

Les réponses viendraient plus tard, songea Alleria.
Il fallait quitter cet endroit au plus vite…

Avec leur prisonnier.

Grâce à eux, grâce à cette victoire impensable, les Trolls n’en avaient plus pour longtemps.

Lioness, épuisée mais soulagée, regarda ses compagnons, tous debout à présent.
Ceux-ci lui rendirent son sourire.
Une fois qu’ils aurait ramené Zul’Jin à Lune d’Argent… La belle cohésion des Amanis allait s’effondrer, et tout rentrerait dans l’ordre.
Au prix d’une lutte acharnée, ils venaient d’arracher une victoire à laquelle nul ne croyait.
Un instant, sa main caressa son ventre, où dormirait encore pour plusieurs mois sa fille. Elle tiendrait sa promesse. Oniri naîtrait dans un monde en paix.

Tandis qu’ils fabriquaient à la hâte un carcan pour traîner le corps toujours inanimé du chef de guerre Troll, Lioness nota avec amusement qu’aucun d’entre eux ne pouvait cesser de sourire malgré la fatigue.

Même lorsqu’ils quittèrent l’endroit, emportant leur terrible prisonnier derrière eux.

Ils ne pouvaient évidemment pas se douter que Zul’Jin allait, dans quelques heures seulement, sacrifier son propre bras pour leur échapper et rejoindre les siens.

Bientôt, le cadavre atrocement brûlé de Malacrass resta la seule trace visible de l’affrontement titanesque qui venait d’avoir lieu.
S’ils étaient restés, sans doute Lioness et ses compagnons auraient-ils vu la main droite du sorcier-docteur se crisper soudain convulsivement, avant de se mettre à gratter faiblement le sol, et son œil s’ouvrir, fixe et vitreux, mais plein de vie.

Car Malacrass avait survécu.

[Naxxramass, Salle de l’Assemblée des Quatre]

« C’est… C’est impossible… » balbutia Sheogorath, rage et surprise mêlées dans sa voix, en contemplant le tranchant scintillant de l’arme extraordinaire qu’il avait en main.
Pour la première fois depuis longtemps, l’énigmatique démoniste semblait totalement décontenancé.
Devant lui, le menaçant à présent de toute la taille de l’Ashbringer Noire, Mograine sourit d’un air triomphant.
« Tu aurais dû m’écouter, Sheogorath, dit-il calmement. La Lame des Vents ne t’a pas choisi. Tu n’es pas digne de la porter. »

Lorsque le Cavalier de la Mort leva son arme pour l’abattre sur Sheogorath, celui-ci, dans un réflexe, leva à nouveau la Thunderfury pour bloquer la lame de l’Ashbringer. Hélas, la double lame parcourue d’éclairs devenait de plus en plus translucide, et l’épée du Généralissime traversa purement et simplement la Thunderfury, comme si le démoniste n’avait tenu que l’image d’une épée.
Le sang de Sheogorath gicla en un large arc de cercle, tandis qu’il était catapulté plusieurs mètres en arrière, le torse barré d’une atroce blessure. Dans sa chute, il lâcha son arme, qui tomba au sol avec un faible tintement, comme si elle n’existait pas réellement dans ce monde.

« Cette fois, tout est fini. » murmura Mograine, en s’avançant lentement vers son adversaire terrassé, incapable de se relever malgré la fureur qui n’avait pas quitté son regard noir.

Il se figea néanmoins en croisant Farfadet sur sa route.
« Pourquoi vous obstiner ? lança le Généralissime à la cantonade en toisant le guerrier avec mépris. Vous n’avez donc pas compris ? Pour moi, vous n’êtes rien ! Même la Thunderfury refuse de me combattre !!! Vous ne pouvez pas me vaincre !!!
- Possible, Général Mograine, répondit Farfadet d’un ton farouche. Mais il ne sera pas dit que j’aurai abandonné l’un de mes compagnons à la mort, quel qu’il soit !!! ajouta-t-il avec un coup d’œil froid au démoniste étendu à terre.
- De belles paroles, rétorqua le père d’Ivy en levant lentement l’Ashbringer noire. Mais ton courage t’aveugle, jeune orc. Je vais briser tes illusions. »
Le Généralissime abattit soudain son arme vers Farfadet, qui para le coup du mieux qu’il put avec le glaive que Yashna lui avait donné. Malheureusement, une épée ordinaire n’était clairement pas de taille à rivaliser avec la lame déchue du Cavalier de la Mort.
Farfadet fut à son tour projeté en arrière, son arme purement et simplement coupée en deux. Il s’effondra à terre à proximité de la Thunderfury abandonnée au sol, dont la lame avait à présent quasiment disparu.
Lorsqu’il tenta de se redresser, ce fut pour découvrir le Généralissime au-dessus de lui, l’Ashbringer levée, prête à s’abattre pour le fendre en deux.
« Repose en paix, héros. » dit simplement Mograine avant d’abattre son épée.

Ivy hurla.

Sur le visage fermé du Généralissime se peignit soudain une expression nouvelle. Une sensation qu’il aurait cru ne jamais avoir à éprouver.
La stupéfaction.

Il dominait Farfadet de toute sa taille, et avait abattu l’Ashbringer noire de toute sa force, quitte à clouer l’orc au sol tel un gigantesque papillon.
Et l’orc avait paré le coup. D’une manière totalement inattendue. Farfadet semblait aussi surpris que le Généralissime, qui n’en croyait pas ses yeux.

Allongé sur le dos, le guerrier repoussait la lame noire de Mograine, bloquant l’Ashbringer avec une épée.
Pas n’importe quelle épée. Une épée parcourue d’éclairs, qui n’avait jamais autant flamboyé, même quand Sheogorath avait fait irruption dans la salle en l’arborant avec arrogance.
La Thunderfury.

Mograine secoua la tête, incapable d’admettre ce qu’il venait de voir : au moment où l’Ashbringer allait transpercer la poitrine de Farfadet, la Lame des Vents, comme animée d’une volonté propre, avait subitement bondi dans la main du guerrier, et les éclairs qui la parcouraient avaient paru tripler d’intensité.
Tout à coup, l’arme légendaire avait retrouvé son tranchant surnaturel et sa matérialité. Elle semblait à nouveau prête à fendre les montagnes

« Comment… Comment est-ce possible ??? s’écria Mograine. La Thunderfury… Elle s’est réveillée ??? »

Farfadet, sans répondre, se releva tout en continuant à repousser l’Ashbringer noire, devant les yeux de ses compagnons médusés.
Et même s’il avait sur le visage l’expression de la surprise la plus totale, les pupilles de l’orc brûlaient du même feu qui animait la Thunderfury sans qu’il en ait conscience.

Impossible !!! songeait Arràgon, stupéfait.

La Thunderfury était entrée en résonance avec Farfadet !!!
Comment était-ce possible ?

Comment la Lame des Vents pouvait-elle avoir choisi un mortel ???

Le paladin contemplait sans y croire le double tranchant de l’arme élémentaire, qui resplendissait à nouveau de mille feux dans la main d’un Farfadet stupéfait. Un éclair fugitif parcourut l’épée, et Arràgon reconnut avec surprise la pulsation familière de la Quel’Serrar, la dernière lame qu’il avait forgée. L’ancienne lame de Farfadet qui avait été brisée, et qui semblait vivre à nouveau à travers la Thunderfury. Puis, la sensation disparut, et l’elfe comprit que l’âme de la Quel’Serrar avait pour toujours uni ses forces à celles de la Lame des Vents.

Et soudain, Arràgon, seul non-mortel de l’assistance, vit se déployer lentement, avec une élégance presque royale, une aura rouge et or tout autour de l’orc.
L’aura majestueuse du Vol Rouge…
L’empreinte de Vaelastrasz.

Et tout à coup, miséricordieusement, il comprit.
La Thunderfury, la Lame du Gardien, avait choisi ce jeune orc…
Parce qu’en sacrifiant sa vie pour défendre Azeroth, Vaelastrasz le Rouge lui avait confié bien plus qu’une simple partie de son pouvoir.

Il lui avait confié le sort du monde.
Car Vaelastrasz avait eu sa place dans la Prophétie, Arràgon en était sûr à présent.
Il avait été le Gardien de la Lumière.

Et Farfadet, sans le savoir, avait pris la relève du valeureux Dragon Rouge dans ce qui serait le plus terrible combat du Bien contre le Mal.

La Quel’Serrar ne s’était pas trompée, songea-t-il avec un sourire.
Avant d’être brisée, elle avait été portée par celui qui serait sans doute le dernier rempart du monde face à la destruction totale.

Derrière Farfadet, Sheogorath s’était redressé malgré sa terrible blessure, et contemplait Farfadet d’un air à la fois furieux et cependant curieusement résigné.
Comme si, au bout du compte, il s’était attendu à ce que quelque chose de ce genre arrive.

Seul Fichtres, qui était suffisamment proche de l’énigmatique démoniste, l’entendit murmurer :
« J’aurais dû m’en douter. Elle devait le savoir… Et elle m’a laissé faire.

Bien pensé.
Il va falloir que je fasse autrement. »

Farfadet s’était complètement redressé, à présent, et il faisait face à Mograine avec sa nouvelle épée. Le Généralissime, lui, s’était repris, et son regard sauvage flamboyait à nouveau de la même lumière malsaine que celle qui pulsait de sa lame maudite.
Tous savaient que le prochain assaut serait décisif. La Thunderfury et l’Ashbringer Noire allaient d’affronter dans une dernière et unique passe d’armes.

« Mograine ! dit soudain Farfadet. Il est encore temps… Abandonne !!!
- Tu voudrais m’épargner ? demanda Mograine, amusé et surpris. Pourquoi ?
- Pour ta fille, répondit Farfadet sans quitter Mograine des yeux. Je ne veux pas tuer le père de mon épouse.
- Ta prévenance t’honore, orc, rétorqua son adversaire avec un sourire. Mais je suis allé beaucoup trop loin pour pouvoir être sauvé. De votre point de vue… Je ne suis plus qu’un monstre à abattre. Rien ne pardonnera ce que j’ai pu faire.

Finissons-en… Ce combat n’a que trop duré. »

Après quelques instants de silence, les deux guerriers se ruèrent l’un vers l’autre en brandissant leurs lames légendaires.
Le choc de leur rencontre remplit la pièce d’un éclair blanc qui ne dura qu’une seconde.

Les deux combattants se tenaient l’un devant l’autre, figés.
La double lame de la Thunderfury, ruisselante d’un sang d’un noir d’ébène, pointait dans le dos du Généralissime, tétanisé par le choc et la douleur.
L’Ashbringer Noire, elle, avait manqué la gorge de Farfadet de quelques centimètres.
Mograine laissa échapper son épée maudite, qui tomba lourdement au sol dans un fracas de métal.
Ses yeux fantomatiques regardaient fixement Farfadet, tentant de comprendre ce qui s’était passé.
Derrière l’orc, Ivy sentit à nouveau ses larmes couler. Mograine était leur ennemi, certes, et ils n’avaient eu d’autre choix que de le vaincre…
Mais il était aussi son père.

« Comment… est-ce… possible ??? » articula le Cavalier avec difficulté.

Après un instant, la voix de Sheogorath résonna dans le silence de la pièce, vibrante :
« Tu peux partir en paix, héros. Ta fille et ses compagnons t’ont déjà vengé. »

Le Généralissime tourna la tête vers le démoniste. Ivy et les Saigneurs Ecarlates, surpris, firent de même. Sheogorath s’avança lentement, sans quitter Mograine des yeux.
« Il y a une chose que tu ignores, Généralissime, reprit-il, implacable. La trahison dont tu fus victime n’est pas seulement celle de ton fils.
- Que… Que veux-tu dire ??? s’exclama l’homme.
- Renault n’a été qu’un pion dans le complot qui t’a amené sous la coupe du Nécromancien, continua Sheogorath. Car le véritable responsable de ta mort, c’est lui !
- Quoi ??? s’écria Ivy.
- Tu aurais dû le comprendre, Ivy, dit Sheogorath d’un léger ton de reproche en tournant les yeux vers elle. Car tu as découvert qui était en réalité le Grand Croisé.
- Dathrohan… murmura Ivy. Balnazaar ? Mais que…
- Le Seigneur-démon Nathrezim Balnazaar, oui, acquiesça sombrement le démoniste. C’est lui qui a manipulé Renault contre son père, exacerbant la jalousie de l’aîné envers son frère cadet Darion, jusqu’à le pousser au meurtre.
- Dathrohan… Un Nathrezim ??? Mais… C’est impossible !!! » s’écria Mograine, stupéfait.
Visiblement, le Nécromancien n’avait pas révélé toute la vérité au Généralissime lorsqu’il l’avait relevé dans les rangs du Fléau. Sans doute avait-il craint que cette âme si pure ne trouve le moyen d’échapper à l’emprise de Kel’Thuzad… Lui et sa formidable épée.
« Oui, répondit sombrement Sheogorath. L’un des agents du Fléau, envoyé directement par Kel’Thuzad pour saper la Croisade Ecarlate de l’intérieur. Ce qu’il a parfaitement réussi, d’ailleurs. Le véritable Dathrohan a été éliminé depuis longtemps déjà. »

Tous, Mograine y compris, étaient suspendus aux lèvres de Sheogorath et à ses terribles révélations.

« Ne soyez donc pas si surpris, dit-il négligemment devant le silence de ses compagnons. Les Nathrezims sont passés maîtres dans l’art de la trahison. Avez-vous déjà oublié Varimathras ?
- Non, dit Amongzedeath d’une voix lourde de menaces. Ni lui… Ni toi. »
Sheogorath n’eut qu’un sourire méprisant devant l’allusion.

« Bref, reprit-il en se tournant à nouveau vers Mograine, Balnazaar s’est rapidement rendu compte que l’Ashbringer seule n’était rien sans son Porteur… Et c’est pourquoi Kel’Thuzad lui a ordonné de te tuer, pour qu’il puisse faire de toi l’un de ses serviteurs. Mais il fallait également souiller ton épée, trop pure pour être maniée par le Fléau. D’où la trahison abjecte de ton fils qui souilla définitivement ton arme, et ta renaissance au sein du Fléau… en tant que Porteur de l’Ashbringer Noire. »

Mograine fixait Sheogorath, les yeux écarquillés. En cet instant, la Thunderfury qui lui transperçait la poitrine était le cadet de ses soucis.
Les Saigneurs Ecarlates, et Ivy en particulier, étaient eux aussi tétanisés.

« Mais la nature avide et corrompue des Nathrezims a repris le dessus, continua le Traître. Balnazaar et Varimathras, qui de son côté avait infiltré les Réprouvés en feignant de se soumettre à Sylvanas, ont commencé à devenir gênants. Ils tramaient quelque chose entre eux… Et Kel’Thuzad ne pouvait le tolérer. C’est pourquoi il a décidé de me faire intervenir, ajouta-t-il avec un sourire malveillant.
- Tu servais donc bien Kel’Thuzad… murmura Farfadet.
- Je le servais, oui, autrefois, répondit Sheogorath. C’était pour le Nécromancien faire d’une pierre t… deux coups : éliminer les encombrants Nathrezims, et se débarrasser en même temps de Sylvanas qui avait osé se rebeller contre le Fléau.
- Et tu as échoué. » dit Amongzedeath d’une voix ferme.
Le démoniste se tourna vers lui, plus vif qu’un serpent, la rage brûlant dans son regard.
« Tu crois ça ? Vous avez éliminé Balnazaar sans que j’aie à me salir les mains, et j’ai mis Varimathras hors d’état de nuire en une seconde. Quand à Sylvanas… Il y a tellement de choses que vous ne pouvez pas comprendre. Mais elle ne perd rien pour attendre. Et bien qu’elle m’ait temporairement vaincu, j’en ai profité pour me soustraire à l’autorité de Kel’Thuzad. Alors, crois-tu réellement que j’ai échoué ? » demanda-t-il avec un sourire méprisant.
La lugubre assurance du démoniste empêcha Amongzedeath de lui répondre.

Sheogorath se tourna à nouveau vers Mograine, qui était tombé à genoux. Farfadet voulut le rattraper avant qu’il ne s’effondre, mais c’est Ivy qui se précipita vers lui et le prit dans ses bras. Ses larmes coulaient sans discontinuer, à présent.
« Père !!! s’écria-t-elle, désespérée.
- Ma fille… murmura Mograine d’une voix de plus en plus faible. Je comprends… Aujourd’hui… Je réalise à quel point je me suis trompé… »

Derrière eux, Sheogorath s’avança lentement et dit d’une voix apaisante :
« Pars en paix, héros. Celui qui a perverti ton fils est mort, et nous allons nous charger de son maître. »

Ni le père, ni sa fille ne paraissaient l’avoir entendu.
« Père… sanglotait Ivy. Ne me laisse pas…
- Je pars… rejoindre ta mère, articula péniblement le moribond. Ivy… Solaris… Tu dois vaincre la noirceur de ton âme… Ta jumelle… »
Il tourna son regard mourant vers Farfadet, qui se tenait derrière Ivy, la Thunderfury pulsant toujours aussi fort dans sa main. Il sourit légèrement.
« Protège-la, héros… Prends bien soin d’elle… ».
Il posa à nouveau les yeux sur sa fille en larmes. Le sang lui coula soudain de la bouche, en un mince filet ininterrompu.
« Ma fille… Dis… Dis à ton demi-frère… Dis à Renault… que je lui pardonne, reprit-il haletant. Dis à Darion… Que je suis enfin en paix. Dis-leur… que leur père a toujours… cru… »
Mais le Généralissime ne finit jamais sa phrase.

Réalisant que Mograine venait de rendre l’âme qu’il venait de retrouver aux portes de la mort, Ivy hurla sa tristesse avec des sanglots déchirants.
Après un long moment, Farfadet s’approcha d’elle et l’enlaça délicatement.
Tous, autour d’eux, observaient un silence solennel, face à la douleur de la démoniste et au tragique destin d’un des plus grands héros que le peuple des Hommes ait jamais connu.

Mais malgré sa peine, seul Fichtres semblait avoir noté la fugitive erreur de Sheogorath. Le démoniste, dans son discours, avait failli dire « trois coups » au lieu de deux, il en était certain.
Autrement dit, il leur cachait encore autre chose.
Le vieux chaman se demanda avec inquiétude à quel « troisième coup » pensait leur sinistre compagnon.

[Naxxramass, Salle du Trône]

Kel’Thuzad et Ivy-Solaris contemplaient la scène au travers d’un globe de vision invoqué par le Nécromancien.

Les Quatre avaient été vaincus.
Plus incroyable que tout, Alexandros Mograine lui-même était tombé.

La morte-vivante était furieuse.
Le dernier mensonge que son père avait adressé à sa sœur jumelle, dans l’espoir, elle s’en doutait, qu’elle-même l’entende et le croie, ne lui avait arraché qu’un rictus de mépris.
Elle releva la tête et regarda son Maître. Celui-ci l’observait de ses yeux où luisait une intelligence malveillante, avec un calme effrayant.
Il attendait.

Elle le fixa de ses yeux rouge sang.
« Ainsi, c’est vous qui aviez planifié la mort de mon père depuis le commencement. » dit-elle d’une voix étrangement neutre, presque rêveuse.
- Oui, répondit simplement le Nécromancien, sans la quitter des yeux. L’Ashbringer était trop dangereuse pour nous… Elle devait passer sous le contrôle du Fléau. Balnazaar a été fort utile dans ce but… Mais la nature des Nathrezims est telle qu’ils ne peuvent s’empêcher de comploter. Lui et ses frères Varimathras et Detheroc ont tenté de trahir le Roi-Liche. J’ai donc dû prendre des mesures pour les éliminer. Votre petite visite à Stratholme en compagnie de Sheogorath n’était en aucun cas le fruit du hasard, ajouta-t-il tranquillement, avec un sourire cruel. C’est moi qui avait tout organisé, avec son aide.
- Que savait-il exactement ? demanda-t-elle.
- Oh, il en savait suffisamment, répondit le Nécromancien d’une voix dure. Trop, sans doute. Lui aussi va payer sa trahison. Mais ce n’est pas là l’important, ajouta-t-il en agitant ses doigts squelettiques avec dédain.
- Alors, qu’est-ce qui est important ??? s’exclama la démoniste, tandis que ses ailes noires battaient avec impatience dans son dos.
- Comptes-tu te venger de moi, pour ce que j’ai fait à ton père ? » demanda Kel’Thuzad avec curiosité, fixant les yeux rouges de la jeune femme avec intensité.

Ivy-Solaris resta un moment silencieuse, le visage indéchiffrable.
Puis, un sourire malveillant se dessina sur ses lèvres délicates, dévoilant légèrement ses dents pointues.
« Non, répondit-elle, ses yeux sanglants brillant de cruauté. Pourquoi me vengerais-je ? Votre plan était remarquable, et puisqu’il m’a menée à vous, je n’ai rien à regretter.
Comme on dit…

La fin justifie les moyens. »

Après un instant, le visage de Kel’Thuzad s’éclaira du même sourire sinistre que celui de sa suivante.
« Je n’en attendais pas moins de toi, ma jeune apprentie, ricana-t-il.

Je crois…
Que tu es prête. »

[Salle de l’Assemblée]

Les Saigneurs Ecarlates contemplaient respectueusement la dépouille inerte d’Alexandros Mograine, qu’Ivy continuait à serrer en sanglotant.
Près de lui, l’Ashbringer noire scintillait de son éclat malsain dans la semi-obscurité de la pièce.

Après un instant, Kharneos s’approcha de l’arme, mais Sheogorath l’arrêta.
« Non, dit-il fermement, tandis que l’orc mort-vivant tournait vers lui un regard interrogateur. Personne ne doit toucher cette épée.
- Que proposes-tu, alors ? rétorqua Kharneos de sa voix d’outre-tombe. Tu veux la laisser ici ? Pour qu’un autre serviteur de Kel’Thuzad la récupère et l’utilise à nouveau ? »
Le démoniste mit un moment à répondre.
« Personne d’autre que Mograine ne peut éveiller le pouvoir de cette lame, dit-il lentement, presque avec hésitation. La corruption qui l’a souillée est si noire et si profonde que cette épée ne ferait que brûler la vie de celui qui serait assez fou pour la brandir, sans que celui-ci soit capable de faire ne serait-ce que le dixième de ce qu’Alexandros pouvait en tirer.
D’autre part, aucun d’entre nous n’est assez puissant pour la détruire. Même moi.

Alors oui, il fait la laisser ici. » ajouta-t-il d’un ton ferme.

Le débat fut alors clôturé de manière abrupte.
Un portail d’énergie s’ouvrit d’un seul coup devant les héros, soufflant un courant d’air glacé dans la pièce et faisant virevolter les cheveux d’Ivy tout autour de son visage baigné de larmes.

Une voix cruelle résonna dans le vacarme de la pièce.

« Soyez maudits, intrus !!! Vous avez trop longtemps abusé de ma patience, et vous n’échapperez pas à votre destin !!! Alors venez… Et finissons-en une fois pour toutes !!! »

Les Saigneurs Ecarlates se regardèrent, la mine sombre.
« Kel’Thuzad… » murmura inutilement Sheogorath.

L’heure du combat final avait sonné.
Farfadet, sans savoir pourquoi, se sentait étrangement mal à l’aise.
« Cette voix… Je connais cette voix. » songeait-il, sans parvenir à se rappeler où il l’avait déjà entendue.

Malgré son trouble, il pénétra le premier dans le portail de téléportation, la Thunderfury à la main, suivi de près par ses compagnons.
Ivy, la dernière, se résolut enfin à abandonner en ces lieux lugubres le cadavre de son père et l’arme qui avait causé sa perte, avant de s’avancer elle aussi au travers du tourbillon d’énergies.

Lorsqu’elle se rematérialisa parmi ses compagnons, de l’autre côté du portail, elle vit qu’ils se trouvaient dans une vaste salle circulaire aux arcades de pierres ouvragées.

Il faisait froid.

Au milieu de la pièce, les aventuriers pouvaient contempler le squelette d’un gigantesque wyrm des glaces, étrangement intact.

Ivy eut soudain un horrible pressentiment.

[A SUIVRE…]

preum's

deus'sss est je ne suis pas un menteur, mais je te laisse une semaine pour me pondre la suite^^

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