Chroniques Ecarlates (07)

Ce qui avait été brisé

[Sillithus, plus de mille ans plus tôt]

Le combat faisait rage en Sillithus, et la situation était plus que critique.

Les dernières forces des Elfes de la Nuit s’étaient à toute force jetées dans la bataille, offrant une résistance désespérée aux assauts incessants des troupes qirajis sur Kalimdor.
L’héroïsme des troupes que Valstann Staghelm et son père, Fandral, avaient mené au combat, avait permis d’infliger une sévère défaite aux armées du général ennemi, un monstrueux colosse du nom de Rajaxx. Et ce, malgré de lourdes pertes. A aucun moment la vaillance du peuple elfe n’avait fait défaut.
Valstann était fier de ces hommes et de ces femmes qui étaient prêts à donner leur vie pour que le chaos qiraji ne se répande pas sur le monde.

Devant le feu de camp qui avait été installé à la hâte après le retrait du général Rajaxx, Valstann regardait son père, doucement éclairé par la lumière du feu qui crépitait.
Il était temps de pousser leur avantage.
Certes, les pertes elfes étaient dramatiques, mais elles n’étaient rien à côté des légions d’insectoïdes qui avaient été massacrées.
Le combat du lendemain serait sans doute décisif.

Plusieurs de leurs lieutenants s’étaient regroupés autour de Fandral, qui exposa ses prévisions tactiques pour la bataille décisive qui aurait sans doute lieu d’ici quelques heures.
En l’écoutant, Valstann fut agacé par la trop grande prudence de son père. N’était-il pas évident qu’ils avaient porté un coup si rude aux troupes ennemies que celles-ci ne pourraient pas s’en relever immédiatement ?
Malgré tout, le respect profond qu’il éprouvait pour son père lui ferma la bouche, et il écouta patiemment les ordres du général elfe.

L’absence inexpliquée des Qirajis sur le champ de bataille du lendemain laissa Fandral extrêmement perplexe. Mais elle renforça Valstann dans sa conviction que les troupes ennemies étaient momentanément en déroute.

Lorsque la sentinelle Mar’Alith arriva en annonçant que le village de Sudevent était attaqué par un détachement sillithide, Valstann comprit que les qiraji tentaient une diversion pour dérouter les troupes elfes de leur objectif principal : le cœur d’Ahn-Qiraj.
Il était hors de question que celles-ci abandonnent totalement le front au seul moment où elles étaient réellement en position de force.
Valstann offrit donc à son père de conduire une cohorte elfe pour secourir Sudevent, permettant ainsi à Fandral et au gros des troupes de continuer leur avancée sur Ahn-Qiraj.
« Cela pourrait-être une ruse, répondit son père.
- Nous ne pouvons prendre le risque de laisser l’une de nos bases arrière tomber, Père, répondit Valstann. J’irai. Je défendrai le village et je reviendrai victorieux, faisant respecter l’honneur de votre nom.
- Reviens simplement en vie et je serai plus que satisfait, mon fils » répondit l’archidruide avec appréhension.

Vaelann, l’un des lieutenants de Fandral, regarda partir Valstann à la tête de la division armée qui allait secourir le village de Sudevent. Son père resta un long moment à contempler la troupe qui s’éloignait, sans rien dire. Puis, lorsqu’elle fut hors de vue, il se retourna vers lui et dit simplement : « En route. » avant de se diriger résolument vers le sud, à la rencontre des Qiraji.
Vaelann lui emboîta le pas, gardant pour lui l’intense tristesse qui lui déchirait le cœur et l’esprit.

Il savait que Valstann ne reviendrait pas de Sudevent.

Le premier parmi les Dragons, Vaelastrasz le Rouge avait pris l’apparence d’un elfe pour rejoindre secrètement la lutte contre la mortelle menace qiraji, défiant par là même l’autorité d’Alexstrasza qui avait ordonné de ne pas intervenir.
Alexstrasza, la Donneuse de Vie, avait été courroucée de l’attitude de son fils, mais l’avait finalement laissé faire à condition que son identité soit tenue secrète (elle craignait d’attirer les foudres du Vol Noir sur un peuple elfe déjà bien malmené), en réalité secrètement rassurée de garder un œil sur la progression des sillithides.

Vaelastrasz-Vaelann s’était donc discrètement glissé parmi les troupes elfes, en usant de l’Illusion du Vol Rouge pour créer son avatar sans éveiller de soupçons.
Et une nuit, après d’harassantes journées de combats sanglants contre les insectoïdes, il avait eu une vision de l’avenir. Vaelastrasz lui-même ne savait pas d’où ni de qui lui venait cette vision, le Vol de Bronze étant également resté neutre dans le conflit.
Mais il avait compris que le seul moyen que cette vision se réalise était qu’il en gardât le secret absolu. Même Alexstrasza ne devait rien savoir.
Il vit quelques bribes d’un futur tragique pour bien des êtres, d’une souffrance sans bornes… Mais au bout se trouvait la lumière. Il vit, à la fin de tous ces drames et de cette tragédie, après une lutte acharnée de tous les peuples… Il vit l’effondrement de l’empire Qiraji tant redouté.
Et il sut ce qu’il devait faire pour que leurs ennemis puissent un jour être vaincus.
Mais, comme toute victoire, celle-ci avait un prix.

Vaelastrasz ignorait combien de morts seraient nécessaires pour que tombent enfin les Qirajis.

Il savait seulement que le premier d’entre eux devait être Valstann Staghelm.

C’est donc la mort dans l’âme qu’il regarda s’éloigner le fils de Fandral, sachant qu’une fois de plus, le destin était en marche.

Les troupes de Valstann ne mirent pas longtemps à atteindre Sudevent.

Mais là encore, les elfes ne trouvèrent aucun sillithide assiégeant le village pourtant apparemment désert. Cela paraissait de plus en plus étrange. Etaient-ils arrivés trop tard ?
Ou s’était-il passé autre chose ?

Après réflexion, Valstann et ses troupes s’avancèrent prudemment vers le village, menés par Natalia Mar’Alith, la messagère qui les avait alerté , qui ne comprenait pas plus qu’eux pourquoi l’endroit était aussi désert.
Comme elle le dit à ses compagnons, elle savait que les troupes de Sudevent étaient en danger, certes, mais elle savait également qu’elles aurait pu, qu’elles auraient dû tenir jusqu’à l’arrivée des renforts qu’elle était allée chercher. Même les fortifications que les elfes avaient dressées à la hâte pour repousser leurs adversaires étaient toujours dans le même état qu’à son départ… Ni plus endommagées, ni moins.
Il s’était forcément passé quelque chose. Il fallait déterminer quoi… Et vite.

En entrant dans les fortifications du camp de Sudevent, les elfes furent pris d’un malaise qui ne fit que grandir au fur et à mesure qu’ils se rassemblaient sur la place du village. Une atmosphère étonnamment oppressante régnait en ces lieux. Ils avaient l’impression désagréable d’être constamment épiés dans leurs mouvements. Même le vent chaud du désert qui balayait doucement l’endroit paraissait lourd d’une menace diffuse.

Valstann embrassa la place centrale d’un coup d’œil circulaire, cherchant un quelconque indice de ce qui s’était passé ici. Autour de lui, ses hommes scrutaient avec la même attention les alentours, prêts à réagir immédiatement face à une éventuelle menace.
Ce n’est que lorsque ses hommes eurent eux-mêmes refermé les portes des remparts que Valstann acquit tout à coup une effroyable certitude devant le mortel silence du village.
Son père, en fin de compte, avait raison.
Ils étaient tombés dans un piège.

Un bourdonnement sourd monta soudain du sol du village, et les elfes virent avec horreur des centaines de sillithides émerger brusquement de leur cachette de sable.
Un rire menaçant résonna dans l’air, que tous reconnurent immédiatement.

« Regardez qui revoilà, ricana le monstrueux Rajaxx qui avait fait son apparition, en s’avançant vers le petit groupe d’elfes encerclés. Vous êtes bien loin de chez vous, mes seigneurs ! »

Les combattants furent frappés de stupeur. Ainsi, certains Qirajis connaissaient la langue des Elfes !

« Au moins, cela nous laisse une occasion d’en finir avec toi, rétorqua Valstann, prêt à bondir.
- Pauvre petit être, répondit le général Qiraji d’un ton faussement compatissant. Crois-tu pouvoir te débarrasser de nos légions avec une poignée d’hommes ?
- Peut-être pas, admit Valstann. Mais chacun d’entre nous donnera sa vie en emportant des dizaines d’entre vous !!!
- Je ne suis pas tout à fait de ton avis, petit elfe. » reprit le monstre d’une voix mielleuse.

Comme une terrible confirmation de la menace du général ennemi, Valstann sentit une pointe piquer sa nuque.

« Rends-toi, murmura Mar’Alith à l’oreille de Valstann. Rends-toi ou nous sommes tous perdus. »

Ses hommes, surpris par la manœuvre de Mar’Alith, n’avaient pas eu le temps de faire un geste.
Pendant que Valstann et Rajaxx s’invectivaient, nul n’avait prêté attention à la messagère elfe, qui s’était discrètement rapprochée de son chef en dégainant son arme.

Valstann tourna la tête vers la traîtresse. Ce qu’il y lut changea la rage qui le tenaillait d’avoir été trahi par l’un des siens en une profonde consternation.
Il ne savait pas ce qu’il s’attendait à voir, mais certainement pas qu’il ne régnait dans ses yeux qu’un intense désespoir, qu’une folie sans bornes, qu’une abysse où aucune lumière ne pourrait jamais apporter ni clarté ni raison.
Natalia Mar’Alith, cette valeureuse combattante avec qui il avait lutté pendant des mois contre les Qirajis, et qu’il connaissait depuis plus d’un siècle… Cette femme-là était définitivement perdue.

« Qu’as-tu fait ? murmura Valstann dans le silence horrifié qui s’était installé. Qu’as-tu fait, Natalia ?
- Nous sommes dans l’erreur, bredouilla-t-elle fiévreusement, le regard perdu dans le vague. J’ai vu ce que… J’ai vu TOUT. Nous sommes insignifiants. Notre peuple n’est rien pour... Nous devons servir… Ou disparaître. Nous…
- Tu as fait du bon travail, elfe, tonna Rajaxx, coupant court aux chuchotements insensés de la traîtresse qui se tut immédiatement tout en laissant échapper un sanglot apeuré. Nos maîtres sauront s’en souvenir.

Et maintenant, seigneur Valstann… reprit-il après un instant, plein d’une joie sadique.

Tu vas sentir sur toi toute la puissance des Qirajis !!! »

Valstann, d’une brusque secousse, se débarrassa de l’étreinte de Mar’Alith, qui tomba à terre au milieu de ses congénères, le regard toujours aussi halluciné.

Tandis que les insectoïdes fonçaient vers lui, Rajaxx ricanant toujours derrière eux, Valstann se prit à regretter de ne pas avoir mieux écouté les avertissements de son père.

Mais il n’avait pas dit son dernier mot, songea-t-il. Le combat d’aujourd’hui, même s’il lui était fatal, ferait résonner le nom de Staghelm aux oreilles des sillithides comme un symbole de mort.

Avec courage, Valstann et ses hommes foncèrent à la rencontre des troupes sillithides, laissant Natalia Mar’Alith seule, prostrée sur le sable, inconsciente du combat sans espoir que menaient les siens, riant et pleurant à la fois des abîmes insondables dans lesquelles elle seule avait été plongée.

[ ???]

Il ouvrit brutalement les yeux.

Il faisait froid.

Où était-il ?

Il regarda autour de lui en se relevant.

Un caveau.

Il regarda ses mains. Décharnées, parcheminées. Il voyait les os par endroits, là où la chair décomposée ne les couvrait pas.
Et pourtant, songea-t-il, fasciné, il pouvait les bouger comme de son vivant. Sans aucune douleur.

Il baissa les yeux vers son torse.

Il était entier.
Son corps était certes en partie décomposé, mais nulle trace de l’horrible balafre qu’il aurait dû avoir, en admettant même qu’il ait survécu lorsque ce maudit Rajaxx l’avait coupé en deux sous les yeux de son père.

Les souvenirs lui revenaient sans qu’il puisse les réprimer.
Sillithus… Le village de Sudevent…
Le piège.

Il avait été vaincu, capturé, puis exécuté sous les yeux de son père avec une atroce barbarie par le terrible général Qiraji, Rajaxx. Lorsque la vie s’était échappée de lui, glaçant son corps et son esprit, Valstann avait prié pour revenir en ce monde, pour aider les siens à mettre un terme à la menace des Qirajis.

Visiblement, quelqu’un avait accédé à sa requête.

On lui avait donné un nouveau corps. Qui semblait mort, mais qui bougeait pourtant.

Sans prendre plus longtemps le temps de s’interroger sur une telle magie impie, Valstann voulut se relever pour sortir de ce sombre caveau. Il fallait qu’il découvre rapidement où il se trouvait, pour revenir prêter main-forte à ses compagnons qui se battaient sans doute toujours au sud de Sillithus.
En admettant qu’ils arrivent à le reconnaître, songea-t-il avec une pointe d’inquiétude.

Son père le pourrait.
S’il était toujours en vie.
…
Oui, il l’était.
Il en aurait mis sa nouvelle tête à couper.

« Pas la peine de tant te hâter, Valstann » résonna une douce voix dans l’obscurité du caveau.
Il se figea.

« Qui êtes-vous ? interrogea-t-il, méfiant. Où suis-je ? Comment suis-je arrivé ici ?
- Tu ne poses pas les bonnes questions » répondit mystérieusement la voix, éludant ses propres interrogations.

Etrange… En l’entendant, il se sentait curieusement apaisé, comme bercé par une brise douce et rafraîchissante.
Il avait presque l’impression d’être auprès du Puits d’Eternité.

« Tu aurais dû me demander : « quand » sommes-nous », reprit la voix après un instant.

Devant son silence interrogateur, elle continua.

« Plus de mille ans se sont écoulés depuis ta mort, Valstann.
- Comment ??? s’écria-t-il. Mais c’est impossible !!! Les Qirajis…
- Ont été contenus, coupa doucement la voix. Pour l’instant. Mais la Guerre des Sables Changeants n’est pas terminée.
- Qui êtes-vous ? demanda Valstann, encore sous le choc. Qui…
- Je suis celle qui t’a ramené, héros de l’ancien temps, répondit-elle. Tu as encore un rôle à jouer. Si tu le désires toujours, tu seras l’instrument de la revanche du monde sur les Qirajis.

Si tu le veux… Tu seras Wodo, la Main des Réprouvés que j’abattrai bientôt sur l’empire sillithide ! »

Dans le cœur de Valstann naissaient d’étranges sensations inconnues. Il n’avait pas oublié qui il était autrefois, il y avait si longtemps… Et pourtant, il sentait ses souvenirs se mêler à ceux d’une nouvelle entité, froide et glaciale, qui ne vivait que pour servir la voix qui lui parlait en ce moment.
Soudain, Valstann-Wodo prit conscience qu’il n’était pas le seul à éprouver ces indescriptibles sentiments. Il faisait partie d’un groupe, à présent. Une légion aurait sans doute été un mot plus approprié.
Oui… L’attachement aveugle à cette voix… Tous ses frères et sœurs morts-vivants le partageaient avec lui.

« Des… Réprouvés… répéta-t-il à mi-voix, tandis que son esprit changeait.

- Je suis Dame Sylvanas Windrunner, la Dame Noire, Reine des Réprouvés, reprit la voix, implacable et triomphante. Tu es maintenant l’un des miens, Wodo… Et ensemble, nous ferons plier les Empereurs Jumeaux !!! »

[Undercity, près de dix mois plus tard]

Les Portes de la Salle du Trône s’ouvrirent en grinçant sur Wodo. Le voleur jeta un coup d’œil distrait sur la morte-vivante qui sortait à ce même moment de la salle, et attendit que les portes se soient refermées sur elle pour s’avancer.

Il s’inclina devant la Reine, puis attendit. Aux côtés de la Dame Noire, se tenait le Seigneur-démon Varimathras, qui lui sembla curieusement différent par rapport à l’accoutumée. Il leva un sourcil interrogateur devant le regard hébété et presque dénué d’intelligence du Seigneur de l’Epouvante habituellement si retors.

Comme tous les Réprouvés, il avait senti l’agression dont avait été victime la Reine des Réprouvés par le Traître, Sheogorath, mais il se trouvait bien trop éloigné d’Undercity pour pouvoir intervenir. Heureusement, la Reine avait vaincu Sheogorath sans difficulté, et le calme était revenu dans la cité des Réprouvés.
Wodo, comme ses congénères, n’avait pas eu plus d’explications sur ces tragiques évènements. La seule pensée que la Reine s’en était sortie était bien suffisante, mais il subodorait qu’il s’était passé autre chose qu’une simple rébellion d’un des leurs.
Mais si la Reine n’avait pas jugé bon de lui en parler… C’est qu’il n’avait pas besoin d’en savoir plus.

D’autre part, il avait bien d’autres chats à fouetter que de s’intéresser au destin de Sheogorath.

« Ne t’inquiète pas de lui, dit simplement la Reine en désignant le démon. Qu’en est-il ? As-tu vu comment s’est interrompue la Guerre des Sables ?

- Oui, Maîtresse, répondit le voleur en s’inclinant. Anachronos du Vol de Bronze m’a montré le combat… et ce qu’il est advenu du Sceptre. »

Après la mort de Valstann, plus de mille ans plus tôt, la guerre avait continué à faire rage pendant des mois. Malgré le courage héroïque des troupes elfes, démoralisées par l’état d’abattement dans lequel était plongé Fandral Staghelm après la perte de son fils, les sillithides gagnaient du terrain, renouvelant sans cesse les créatures que les elfes abattaient sans relâche.
En désespoir de cause, les elfes s’étaient à nouveau tournés vers les Vols draconiques pour obtenir de l’aide. Et, malgré leur refus initial, les Dragons étaient malgré eux entrés en guerre lorsque les Qiraji avaient lancé une offensive directe sur les Grottes du Temps, résidence du mystérieux Vol de Bronze.

Wodo l’ignorait, mais les appels à l’aide d’un Vaelastrasz de plus en plus désespéré de l’avancée qiraji auprès de la Donneuse de Vie elle-même avaient grandement joué en faveur d’une intervention directe des Vols.

C’est ainsi que Merithra du Vol Vert, Arygos du Vol Bleu et Caelestrasz du Vol Rouge (le propre frère de Vaelastrasz) s’étaient lancés dans la bataille aux côtés d’Anachronos du Vol de Bronze.

Malgré le soutien des puissants Dragons, l’avancée des sillithides continuait inexorablement.
Fut alors conçu le plan désespéré d’enfermer les insectoïdes dans leur propre cité, la ville maudite d’Ahn Qiraj. Les Dragons unirent leurs forces à celles des elfes survivants, et, grâce au sacrifice de Merithra, Arygos et Caelestrasz qui s’enfoncèrent profondément dans la cité Qiraji pour focaliser l’attention des troupes sillithides, Anachronos parvint de justesse à en sceller magiquement les portes.

Hélas, le Sceptre des Sables Changeants, unique clé capable de déverrouiller les portes d’Ahn Qiraj lorsqu’une solution aurait été trouvée pour vaincre les monstres enragés qui y étaient à présent enfermés, confié par Anachronos à Fandral Staghelm, fut brisé par ce dernier.
Fandral, concentrant sur le Dragon de Bronze et ses semblables exténués sa propre rage et son désespoir d’avoir perdu son fils unique pour une victoire qui n’en était pas une, détruisit en effet le Sceptre qui éclata en trois fragments.

La tâche allait donc être titanesque pour celui qui voudrait ouvrir à nouveau les portes d’Ahn Qiraj : retrouver les Fragments qui avaient été confiés à des gardiens sûrs des Vols Vert, Bleu et Rouge mille ans plus tôt…

Sans compter qu’il faudrait ensuite trouver un moyen de vaincre des ennemis que même l’union de quatre des cinq Vols n’avait pas réussi à éliminer…

Wodo avait été, en dépit de sa nouvelle existence au sein des Réprouvés, heureux d’apprendre que son père Fandral avait échappé à la mort… Mais déplorait que celui-ci ait brisé le Sceptre.
Il allait avoir bien des difficultés à racheter l’honneur de son père…
Et même s’il y arrivait, celui-ci ne saurait jamais qu’après mille ans, son fils était revenu finir ce qu’il avait commencé.

« Alors le temps sera bientôt venu de reforger ce qui fut brisé, reprit la Reine en scrutant Wodo de son étrange regard d’argent.
- Mais quand, Maîtresse ? demanda aussitôt le voleur. Le temps presse ! Les Fragments…
- Je détiens déjà celui qui fut confié à Azuregos du Vol Bleu, coupa tranquillement la Reine. Ne t’inquiètes pas pour le Fragment du Vol Vert. Ne reste que le Fragment du Vol Rouge qui fut confié à Vaelastrasz. »

Abasourdi devant ces révélations, Wodo resta un moment sans voix, prenant la mesure de l’étendue des pouvoirs et des ressources de la Reine des Réprouvés.
Puis, il se redressa.

« Comment trouverons-nous le Fragment des Rouges, votre Altesse ? demanda-t-il
- Celle que tu as rencontrée en entrant ici va nous y aider, Wodo » répondit Dame Sylvanas toujours aussi tranquillement.

Le voleur se demanda en quoi la démoniste Ivy, qu’il venait effectivement de croiser, allait jouer un rôle dans la Guerre des Sables Changeants.
Mais il avait appris à faire confiance à sa Maîtresse. Elle ne s’était que très rarement trompée. Il garda donc le silence, attendant que parle la Reine.

« Je veux que tu rejoignes Ivy et ses compagnons chez les Saigneurs Ecarlates, Wodo, ordonna la Dame Noire.
- Les Saigneurs Ecarlates ? » répéta-t-il sans comprendre.

Il connaissait la renommée de ceux qui avaient affronté et défait les forces du clan Blackhand au Pic Blackrock, mais… Vu la nature secrète de sa mission, il n’aurait jamais imaginé avoir à intégrer une guilde pour servir sa Maîtresse.
Il finit cependant par acquiescer. On ne discutait pas les ordres de la Dame Noire.

Tandis que le voleur s’inclinait avant de se retirer, la Reine des Réprouvés murmura pour elle-même :

« Et si tout se passe comme prévu, ce sont les Rouges eux-mêmes qui viendront à nous. »

[Kargath, quelques semaines plus tard]

Wodo avait rejoint les Saigneurs Ecarlates, conformément aux ordres de la Dame Noire.
En les suivant, il avait vu et affronté d’infernales créatures, et avait été impressionné par la bravoure et les ressources de ses compagnons, mortels et morts-vivants.
Après tout, ils avaient même réussi à intéresser le Traître Sheogorath, revenu d’entre les morts par il ne savait quelle magie.

Mais il n’était pas au bout de ses surprises. La preuve en était de cette rencontre qu’ils venaient de faire.

En entendant le nom de Vaelan, Wodo avait immédiatement dressé l’oreille. Celui que Gorgotha présentait comme son père adoptif avait l’apparence d’un homme, soit, mais le voleur avait clairement senti que l’homme n’en était pas réellement un.
Et ce regard…

Wodo l’avait déjà croisé.
Il y avait plus de mille ans.

Seule la voix de la Dame Noire, chuchotant dans son esprit, l’avait empêché de révéler immédiatement à ses compagnons qu’il avait déjà rencontré celui qui souhaitait les accompagner dans le Repaire de l’Aile Noire.

Lorsque le Dragon Rouge Vaelastrasz était enfin apparu devant eux sous sa véritable apparence, vaincu par le maléfique Néfarius, Wodo, indépendamment de la situation critique dans laquelle ils se trouvaient, avait d’un coup compris énormément de choses.

Notamment qu’il avait été le jouet du destin depuis fort longtemps.

[Repaire de l’Aile Noire, trois heures plus tard]

Vaelastrasz s’effondra, vaincu par la flèche de Gorgotha, le trait d’ombre d’Ivy et la lame de Farfadet, lui-même protégé par l’impressionnant bouclier magique de Sheogorath.

Heureusement, songea Wodo, le Dragon Rouge possédait encore un souffle de vie. Comme s’il ne voulait pas quitter cette terre avant d’avoir accompli sa mission.

Son autre mission.

Tandis que Sapristi, Nouméa et les autres étaient occupés à ramener dans ce monde les Saigneurs Ecarlates qui avaient été décimés par le Fils du Vol Rouge, Wodo s’approcha discrètement de Vaelastrasz et lui murmura, ignorant délibérément les mille questions qui se pressaient dans son cœur :
« Me voici, ô Très Ancien. Je suis celui qui recréera ce qui fut brisé. »
Le Dragon le regarda, tandis qu’une légère vague de soulagement faisait luire son regard mourant.
« Enfin, entendit le Réprouvé dans son esprit. Je savais que la mort ne t’empêcherait pas de revenir.
- Vaelann ? ne put s’empêcher d’interroger le voleur, hésitant. C’est bien vous ?
- Oui, mon ami, répondit le Dragon. Je suis bien celui que tu appelais Vaelann il y a mille ans.
- Mais… Comment…
- Tu dois me pardonner, Valstann. Je savais que tout arriverait ainsi… Mais je n’ai rien fait pour changer le cours du destin. Tout devait arriver. Car il existait une chance de vaincre à jamais les Qiraji. Et l’heure a sonné… Après tant d’années, il est enfin temps de reforger le Sceptre et de me relever de ma tâche. Mais… Quelle tragédie que ce soit en une heure si noire que tu viennes à moi !
- Que voulez-vous dire ? » demanda le voleur en pensées, étourdi de prendre soudain la mesure des révélations du Dragon Rouge.

Il savait… Tout ??? Wodo sentit la fureur le gagner. Ce dragon se prétendait son « ami », mais n’avait pas hésité à le laisser partir droit à la mort sans l’avertir ni agir ! Pourquoi ???
Mais en même temps, le désespoir de Vaelastrasz était presque palpable. Le voleur sentit qu’à cet instant, quelque chose de bien plus important était en train de se jouer que les malheurs de sa propre destinée.

Il ne leur restait que très peu de temps. La vie du Dragon Rouge arrivait à son terme.

Il posa la question qui, il le savait, lui fermerait à jamais les portes de l’explication de son propre destin, mais qui était sans doute celle qui sauverait le monde.

« Où est le Fragment des Rouges ?
- Hélas ! répondit Vaelastrasz. Nefarian me l’a dérobé !
- Comment ??? » s’exclama Wodo, alarmé.
Le Dragon Rouge acquiesça péniblement.
« J’ai failli à mes deux missions, ajouta-t-il, désespéré. Je n’ai pu protéger ni les vivants, ni le Fragment. Tu dois le reprendre au Seigneur du Vol Noir avant qu’il ne le détruise ! »
Wodo, résolument, murmura : « Partez en paix, Vaelastrasz. Nous vaincrons Nefarian et le Sceptre sera reformé ! »
La majestueuse créature le regarda un instant avant de répondre : « J’ai confiance en toi, héros. Mieux que quiconque, tu sais quelle menace plane sur nous si tu échoues.
Mais vous réussirez, ajouta-t-il avec une soudaine et surprenante confiance dans la voix. Tu as parmi tes alliés une entité si puissante que son destin changera la face du monde…
- Le Traître ? questionna Wodo, plus que méfiant à l’idée de s’allier à Sheogorath.
- Non, répondit Vaelastrasz avec un léger sourire.

Elle. »

Et, en suivant son regard, le voleur découvrit la démoniste Ivy, qui les observait, intriguée.
« N’oublie pas, héros… reprit-il d’une voix de plus en plus faible. Reprends le Fragment à Nefarian… Les Vols comptent sur vous… »

Wodo ferma les yeux, entendant sans les écouter les dernières paroles que le vénérable Vaelastrasz, dont le courage avait tant brillé pendant la Guerre des Sables Changeants sous son apparence elfe, adressait à Gorgotha, qui s’avérait être son fils adoptif.
Lorsque le Dragon Rouge eût rendu l’âme, il releva la tête, porté par la même résolution froide qui habitait le cœur de chacun des Saigneurs Ecarlates.
Nefarian allait tomber.

Le Sceptre serait reformé, et les Qirajis seraient enfin vaincus.

Il avait hâte de revoir Rajaxx et ses sbires.

[Quelques heures plus tard]

Wodo, comme tous ses compagnons, avait contemplé, effaré, l’extraordinaire puissance libérée par Ivy face à Nefarian, le Seigneur du Vol Noir. D’un seul coup, Wodo comprenait mieux pourquoi Vaelastrasz l’avait désignée comme celle qui changerait le destin des mondes.

Bien que la source d’un tel pouvoir lui échappât totalement, il n’en avait pas pour autant oublié sa mission principale. Après la mort de Nefarian, une fois les Saigneurs Ecarlates revenus de leur stupeur devant le sacrifice de la belle démoniste et repartis en trombe pour Undercity sous l’impulsion d’un Farfadet fou de désespoir, le voleur, resté seul avec les restes encore fumants du Seigneur des Dragons Noirs, ne fut pas long, guidé par les sens du Vol de Bronze qu’Anachronos lui avait insufflé, à retrouver le Fragment des Rouges.

Wodo le contempla un long moment, songeant à toutes les souffrances que cette terrible quête avait provoquée.
Les Empereurs Jumeaux paieraient bientôt pour leurs crimes.

Wodo n’avait rien dit à Farfadet, mais il ne se faisait guère d’illusions sur le destin de sa défunte épouse.
Elle avait définitivement quitté ce monde.

Peut-être viendrait-il un temps où les Saigneurs Ecarlates apprendraient la vérité, songea-t-il.

Peut-être Farfadet saurait-il un jour que Dame Sylvanas les avait envoyés en ces lieux pour permettre que le Sceptre des Sables Changeants soit enfin reforgé.
Ce jour-là, comprendrait-il ? Accepterait-il que sa femme ait été sacrifiée pour que se termine enfin le combat contre les Qiraji ?

Vaelastrasz… Si seulement le vénérable Dragon Rouge s’était montré plus tôt ! pensa tristement le voleur.
Toute cette expédition n’aurait pas eu lieu, et la défunte démoniste aux si extraordinaires pouvoirs serait peut-être toujours en vie…

« Ce qui a été fait devait être, fils de Fandral, résonna soudain la voix d’Anachronos dans son esprit. Les lignes du temps sont inaltérables.
- Qui était-elle ? questionna le Réprouvé, qui ne revenait toujours pas de l’extraordinaire explosion de puissance dont il venait d’être témoin. Qui était-elle pour renfermer en elle ce pouvoir ?
- Il n’est pas encore temps que tu saches, car ton rôle n’est pas de suivre le destin de la Tourmentée, répondit mystérieusement le Dragon de Bronze en éludant la question. Mais vos chemins se croiseront à nouveau, ajouta-t-il doucement.
- Elle… Elle a survécu ? demanda le voleur, stupéfait malgré lui, malgré tout ce qu’il avait déjà vécu.
- Non, héros, répondit la voix d’Anachronos. Mais son rôle n’est pas terminé pour autant. Hâte-toi, à présent. Il reste encore un long chemin à parcourir… »

Wodo releva la tête, résolu.

Oui… Une lourde tâche pesait encore sur ses épaules.
Mais il l’accomplirait.

Pour tous ceux qui avaient donnée leur vie, pour que le Seigneur des Dragons Noirs tombe enfin.
Pour tous ceux qui, autrefois, avaient sacrifié la leur pour contenir les Qiraji.
Pour racheter la faute de son père, que l’orgueil et le désespoir avaient aveuglé.

Pour Vaelastrasz.
Pour Ivy.

Pour la Reine.

Pour le monde.

Il se mit lentement en route pour le désert de Tanaris.

[Sillithus, cinq mois plus tard]

Wodo trouvait extrêmement troublant de revenir sur les lieux de sa propre mort.

Dame Sylvanas s’était montrée très satisfaite du succès de la mission de Wodo, n’attachant visiblement que peu d’importance à la disparition de la démoniste qui s’était sacrifiée pour abattre Nefarian… Ni à l’extraordinaire explosion qu’elle avait libérée en emportant le Dragon Noir.
Ou peut-être ne le montrait-elle pas. Bien qu’il soit l’un des plus proches serviteurs (secrets) de la Reine, il n’arrivait toujours pas à savoir ce que pensait réellement sa Maîtresse, mais il avait compris qu’elle en savait la plupart du temps bien plus que ce qu’elle acceptait de dire.
Cela ne l’empêchait pas de la servir fidèlement. Il n’avait pas d’autre alternative.

Au bout de quelques temps, la Dame Noire avait monté une expédition secrète, à laquelle participaient la plupart des Saigneurs Ecarlates membres des Réprouvés. Tous avaient été mis sous les ordres de Wodo, avec interdiction formelle de parler de quoi que ce soit… à qui que ce soit.
Visiblement, la Dame Noire ne tenait pas à ébruiter le fait que la Guerre des Sables Changeants venait de reprendre.

Wodo, seul témoin des atrocités commises par les Qirajis mille ans auparavant, avait supplié sa Reine de demander l’appui des autres races d’Azeroth… Mais elle était restée sourde à ses appels.

Ou peut-être avait-elle une autre idée en tête.
Après tout, elle avait envoyé Wodo et ses compagnons en plein cœur du désert de Sillithus sans qu’il n’ait plus d’informations concernant le dernier Fragment manquant du Sceptre des Sables Changeants, celui que détenait Eranikus du Vol Vert.

Mais la Reine semblait étrangement confiante à ce sujet, et Wodo, comme à son habitude, n’avait eu d’autre choix que d’obéir.

Les évènements avaient une fois de plus donné raison à Dame Sylvanas Windrunner.

L’expédition avait fait deux rencontres déterminantes à Sillithus.

La première avait eu lieu lorsque Wodo, quelque peu étourdi par la résurgence de ses souvenirs passés, avait commencé à explorer les ruches sillithides mineures toujours en activité de la région.
Zarlok, comme plusieurs de ses compagnons, s’était interrogé sur l’étrange sixième sens qui semblait infailliblement guider Wodo dans ses déplacements et ses décisions, mais suite à plusieurs échanges houleux et infructueux avec le voleur (qui ne tenait clairement pas à s’appesantir sur son passé), il avait fini par renoncer à essayer de soutirer des informations à celui-ci.
Après tout, l’obéissance à leur Reine n’était-elle pas à elle seule une justification suffisante ?

Au camp du Cercle Cénarien (une faction de druides neutres composée essentiellement de taurens et d’elfes de la Nuit qui toléraient même les Réprouvés, et qui avaient établi un campement retranché dans la région pour pouvoir surveiller les activités sillithides qui n’avaient pas cessé malgré le scellement des portes d’Ahn Qiraj), Wodo et ses compagnons avaient entendu parler d’une mystérieuse entité qui semblait contrôler les sillithides, et qui attaquait inlassablement les caravanes de ravitaillement qui tentaient d’atteindre le camp.
Bien que les habitants du refuge Cénarien aient été surpris de la présence de tant de Réprouvés en même temps dans une région aussi reculée, ils n’avaient pas hésité à demander à ceux-ci leur aide pour les débarrasser de cette malfaisante présence dans le désert de Sillithus.
Wodo avait promis de s’occuper de celle-ci. Ne serait-ce que pour ne pas attirer l’attention des druides du Cercle sur la surprenante venue en ces lieux d’un nombre étonnamment élevé de morts-vivants.

A force de pistage, guidés également par les méticuleuses recherches de la géologue Larksbane, rencontrée au refuge Cénarien et qui avait semble-t-il longuement enquêté sur les légendes qirajis, l’expédition morte-vivante ne fut pas longue à localiser la fameuse reine qui commandait les troupes sillithides de la région, au cœur d’une ruche sillithide nommée « Re’Gal » dans la langue de leurs ennemis.

C’est avec une joie sauvage que Wodo se lança dans un affrontement sanglant avec les créatures insectoïdes qu’il avait si longtemps combattu. Même mille ans après, sa haine contre les Qirajis n’avait pas faibli.
Le renfort de ses compagnons Réprouvés, en particulier les ravages provoqués par les puissances sombres que maîtrisaient Zarlok et Yuggoth, furent déterminantes pour la progression du petit groupe au sein de la ruche Re’Gal, en direction de l’étrange source de pouvoir que les arcanistes avaient localisée, d’abord avec difficulté, puis de plus en plus facilement, tout au fond des galeries que les sillithides avaient creusées.

Lorsqu’ils débouchèrent enfin dans la vaste salle souterraine, creusée à même les sombres cristaux rocheux de la région par les infatigables mandibules sillithides, et que les lanceurs de sort avaient identifiée comme celle qui renfermait la mystérieuse force qu’ils étaient venue affronter, Wodo se figea un instant de stupeur.

Une elfe se tenait au milieu de la pièce, entourée d’une masse grouillante d’insectes sagement massés à ses pieds. Sa peau était blanche du fait d’une sous-exposition prolongée au soleil, et elle était vêtue de ce qui était sans doute une sorte de toge filée de la soie des créatures qui rôdaient dans la ruche.
Elle posa sur eux son regard dans lequel brillait une malsaine lumière noire. Wodo la reconnut aussitôt, bien qu’il ne l’ait pas revue depuis mille ans.

On n’oubliait pas facilement le visage de celle qui avait provoqué votre perte.

Ainsi donc, elle avait survécu, songea-t-il.
Il aurait parié que les Qirajis se seraient débarrassés d’elle dès sa méprisable tâche achevée… Mais visiblement, Natalia Mar’Alith avait entièrement voué sa vie au culte des forces insectoïdes.

Une ombre passa sur le visage de l’elfe lorsqu’elle vit Wodo.
« Ainsi, tu es revenu, Valstann. » dit-elle à voix basse. Elle ne paraissait pas plus surprise que cela de revoir celui qu’elle avait emmené à la mort dix siècles plus tôt.
La plupart des Réprouvés considérèrent une nouvelle fois le voleur avec étonnement, devant ce nom qui ne signifiait a priori rien pour eux. Toutefois, Zarlok murmura : « Valstann… Il serait… Incroyable… », ce qui ne laissa aucun doute à Wodo quant au fait que le prêtre avait sans doute compris à qui il parlait.
Après tout, le voleur avait constaté de lui-même que l’histoire de la Guerre des Sables Changeants était devenue l’une des légendes du monde d’Azeroth dans laquelle son propre nom, aujourd’hui abandonné pour celui de Wodo, avait sa place.

C’est en langue elfique que répondit le voleur, surprenant à nouveau ses camarades, sauf Zarlok qui le considérait toujours avec le même regard songeur.
« Oui, je suis de retour, Mar’Alith. Je suis revenu finir ce que nous avons commencé.
- J’ai toujours su que tu reviendrais, répondit la femme dans la même langue, de la même voix basse et étrangement calme.
- Et comment en étais-tu si sûre ? demanda-t-il en levant un sourcil, intrigué.
- Parce que tu es la clé qui conduira les miens à la victoire, répondit-elle avec un éclat de rire dément, en caressant la carapace d’un insecte à côté d’elle.
- A ce que je vois, tu as oublié qui était ton vrai peuple, Natalia. Cela tombe bien, moi aussi. Je n’aurai donc pas de scrupules à tuer une ancienne sœur ! » répondit-il en dégainant ses lames.

Le voyant sortir ses armes, les Réprouvés dégainèrent à leur tour, mais Zarlok les arrêta.
« Laissez-le, dit-il avec autorité. Ces deux-là ont visiblement des comptes à régler.
- En es-tu sûr, Zarlok ? s’écria Yuggoth. Tu as compris ce qu’ils ont dit ?
- Absolument pas, répondit le prêtre en haussant les épaules.
- Mais… As-tu senti ce pouvoir ? reprit le démoniste, inquiet. Il aura besoin d’aide !!!
- Si cela vous amuse, vous pouvez toujours éliminer les insectes qui protègent cette elfe, répondit distraitement le prêtre qui n’avait pas quitté Wodo des yeux..

Mais je pense que ce ne sera même pas nécessaire. » ajouta-t-il en reculant pour laisser la place aux deux adversaires qui s’observaient toujours avec intensité, ne prêtant aucune attention à ceux qui les entouraient.

Mar’Alith poussa brusquement un cri dans une langue inconnue (que Wodo reconnut avec dégoût comme celle que les Qirajis utilisaient pour commander les sillithides dans les batailles auxquelles il avait autrefois participé), et les insectoïdes qui grouillaient toujours autour de l’elfe se dirigèrent à toute vitesse sur le voleur.

Wodo fondit sur ses adversaires, épées en avant. Arrivé à la hauteur des premiers sillithides, il bondit, pirouettant au travers du groupe compact de mandibules et de griffes avec une grâce qui trahissait les origines elfiques de l’âme qui habitait maintenant ce corps mort-vivant.
Ses lames balayèrent l’espace, tranchant et fendant impitoyablement, faisant gicler le sang vert des créatures qui piaillèrent de douleur sans réussir ne serait-ce qu’à égratigner leur cible. Lorsque Wodo se rétablit sur le sol, à quelques mètres seulement devant Mar’Alith, seuls deux des monstres étaient encore en vie… Et ils s’effondrèrent en tentant de se retourner pour embrocher le voleur, qui ne leur jeta même pas un regard, uniquement concentré sur l’elfe qui n’avait pas bougé.

« Je vous l’avais dis, murmura Zarlok à ses compagnons Réprouvés qui avaient contemplé la scène avec satisfaction.
- Ce ne sont pas les insectes qui m’inquiètent, rétorqua Yuggoth. Il y a quelque chose d’anormal avec cette elfe. Quelque chose dans son aura… »
Zarlok, à nouveau, haussa les épaules.
« Même si tu dis vrai, répondit-il avant de reporter son attention sur le combat, nous allons voir s’il est digne de la confiance que notre Maîtresse a mis en lui. »

Mar’Alith, sans un mot, leva la main vers Wodo, qui se retrouva projeté à plusieurs mètres dans un choc brutal.
Il se releva pourtant immédiatement, malgré la plaie sanglante qui s’était ouverte à l’endroit de l’impact, et lança vers son ennemie plusieurs poignards qui filèrent droit sur elle.
Celle-ci, le visage toujours aussi lunaire et dénué d’expression, arrêta les projectiles mortels d’un nouveau geste de la main avant même qu’ils n’aient pu l’effleurer. Les couteaux tombèrent à terre, inertes.
Wodo se figea un instant, légèrement pris au dépourvu par les pouvoirs télékinésiques que semblait maîtriser Natalia.
Un deuxième geste de la main de l’elfe releva brusquement dans l’air les poignards tombés au sol, et elle les renvoya vers Wodo sous les yeux écarquillés de l’assistance.
Celui-ci réagit en une fraction de seconde, bondissant en arrière, et esquiva de justesse ses propres projectiles qui se fichèrent dans la roche, le ratant de quelques centimètres seulement.

En touchant terre, il dégaina ses épées et, changeant de tactique, se rua sur Mar’Alith pour l’affronter au corps à corps.
Alors qu’il arrivait à portée de l’elfe, celle-ci leva à nouveau la main, le paralysant en un instant comme elle l’avait fait avec les poignards un instant auparavant.
Wodo, incapable du moindre mouvement, regarda son ancienne camarade, cherchant dans l’abîme de ses yeux une trace de la raison qui y régnait autrefois.
Peine perdue.

L’elfe serra soudain le poing, et le voleur se sentit comme broyé dans un étau d’une puissance incroyable. Mar’Alith le tenait à sa merci, et il semblait que ses pouvoirs allaient rapidement lui ôter la non-vie que la Reine des Réprouvés lui avait rendue.
« Tu ne peux pas lutter contre les Qirajis, chuchota Mar’Alith. Renonce… C’est inutile.
- Ja… Jamais… » répondit-il sur le même ton.
Un bruit sinistre se fit entendre lorsque deux de ses côtes se brisèrent.
« Ainsi soit-il, murmura à nouveau Natalia. Ta mort sera rapide. »

D’un nouveau geste de la main, Mar’Alith catapulta Wodo sur l’un des murs de la pièce, où il s’écrasa. D’autres os se brisèrent sous l’impact. Le voleur cracha son propre sang, mais resta silencieux.

« Pourquoi ? demanda son ennemie d’une voix neutre. Pourquoi t’obstiner ? Notre peuple ne peut rien contre les forces des Empereurs Jumeaux... Pourquoi t’opposer à eux ?
- Nous défendions… la Vie, Natalia, dit Wodo en se relevant péniblement. Et les Qirajis… sont l’ennemi de toute vie ! »
Il courut à nouveau sur elle.

A nouveau, Mar’Alith leva la main et le paralysa de la même manière que quelques instants plus tôt.
Elle contempla un instant son ennemi immobilisé.
« Je ne pourrai donc te convaincre, murmura-t-elle tristement. Comme tu voudras. »
Elle serra une nouvelle fois le poing, bien plus fort cette fois, avec l’attention bien arrêtée d’en finir avec lui.
Le léger sourire de triomphe qui commençait à naître sur ses lèvres se figea soudain… Pour s’effacer complètement après un instant.
Le bras de Wodo, qui tenait encore la seule épée que le voleur n’avait pas lâché suite aux attaques de Mar’Alith, bougeait lentement sans qu’elle puisse l’en empêcher.

« Non ! dit-elle, contemplant avec effarement la lame de Wodo, qui bougeait lentement malgré les efforts qu’elle déployait pour l’arrêter. Personne ne peut briser l’étreinte du Scarabée !
- Je t’ai dis… que je suis revenu finir… ce que nous avions commencé… Et rien… ne m’empêchera… de le faire ! » dit péniblement Wodo.
Natalia eut soudain une sensation très étrange, qu’elle fut la seule à percevoir et qui la figea dans une sorte d’extase sacrée mêlée de terreur. Derrière Wodo, qui tentait avec difficulté de frapper son ennemie, elle eut l’impression que quelqu’un d’autre se trouvait là. Une elfe au teint pâle comme la mort et aux yeux d’argent, à la beauté envoûtante et glacée, vêtue d’une somptueuse robe noire, et dégageant une énergie gigantesque et majestueuse. Complètement hypnotisée par l’apparition, Mar’Alith se désintéressa totalement de son ennemi, et son emprise télékinésique sur lui disparut.

Un spasme la prit, et le sang lui monta aux lèvres lorsque la lame de Wodo lui transperça la poitrine.

Elle baissa les yeux vers le voleur, et croisa son regard résolu et impitoyable, dans lequel elle lut cependant la douleur qu’il éprouvait à terrasser l’une des filles de son ancien peuple.

Peu importait, songea-t-elle.
En un instant, cette apparition, par ce qui ne pouvait être qu’un miracle, l’avait libérée du joug des Empereurs Jumeaux qui l’avait si longtemps aveuglée.
Elle espérait seulement que cette mystérieuse elfe, qui ne pouvait être qu’une Reine, tiendrait les promesses qu’elle avait en un instant murmuré à son esprit enfin apaisé.

Mar’Alith s’effondra dans les bras de Wodo, levant vers lui un regard dans lequel ne brillait plus cette lumière malsaine qui y régnait depuis mille ans.
« Pardonne-moi, Valstann, murmura-t-elle dans la langue de leur peuple commun. Pardonne-moi… Pour… Pour tout…
- Celui qui pouvait te pardonner est mort, Natalia, répondit durement Wodo.
- Je… Je le sais, répondit-elle avec tristesse, se crispant sur sa blessure qui continuait à suinter de sang.
- Pars en paix, reprit-il, miséricordieux. Nous allons réouvrir les Portes et en finir avec les Qirajis, aujourd’hui.
- Vous… Non !!! s’écria-t-elle de ses dernières forces, soudain alarmée. Ne faites pas… Il y a…
- Pourquoi, Natalia ? demanda Wodo. Qu’y a-t-il là-bas ? Qu’est-ce qui t’as fait changer à ce point ?
- Il… Les Empereurs… Ils ne sont… »
Une terrible quinte de toux sanglante la prit, qui ne s’arrêta que lorsqu’elle exhala son dernier soupir. Sa main crispée sur celle de Wodo se détendit soudain, laissant le voleur avec le mystère des derniers mots qu’elle avait réussi à souffler avant de rendre l’âme :

« IL… veut reprendre… le monde… »

La deuxième rencontre que firent Wodo et ses compagnons eut lieu quelques heures plus tard.

Après avoir porté Mar’Alith en terre et avoir détruit les derniers œufs insectoïdes qu’ils avaient découverts dans la ruche, les Réprouvés s’étaient aventurés en direction du Sud, vers l’entrée de la Cité d’Ahn Qiraj.
Bien que les druides du Cercle leur aient appris plus tôt que les Portes en étaient toujours (heureusement !) scellées, pas un des compagnons de Wodo n’avait émis la moindre objection quant au fait de se rendre là-bas.

Wodo, tout en cheminant silencieusement sur la piste poussiéreuse balayée de sable chaud, se demandait toutefois comment ils allaient pouvoir progresser dans leur quête sans le Fragment du Vol Vert.

Sans savoir que la réponse l’attendait au pied des Portes de la Cité Qiraji.

Lorsque le groupe d’aventuriers arriva devant le sceau magique qui pulsait toujours doucement malgré un millénaire d’existence, ils découvrirent que quelqu’un les attendait.

Une tauren.

Les druides du Cercle Cénarien, à la demande expresse de celle-ci, n’avaient parlé à personne de la visiteuse qui était arrivée quelques jours plus tôt au Refuge Cénarien, fort mal en point. Les plus expérimentés d’entre eux, tout en soignant ses blessures, avaient senti dans son énergie vitale les résidus d’une corruption qui ne pouvait provenir que d’un seul endroit : du Rêve d’Emeraude…

Ou plutôt, du Cauchemar d’Emeraude.

Ils l’avaient alors pressée de questions, mais elle avait obstinément gardé le silence, se contentant de montrer la Marque de Remulos.
Devant cette preuve d’une des autorités suprêmes de l’Ordre, les druides avaient cessé leurs questions et se mirent au service de la tauren, impressionnés malgré eux de côtoyer une druidesse qui était entrée dans le Cauchemar d’Emeraude… Et qui en était ressortie saine d’esprit.

Les Réprouvés qui étaient arrivés quelques jours plus tard avaient eu tort de s’inquiéter de l’étonnement que leur présence au Refuge aurait pu provoquer.
Les druides étaient déjà au courant de la venue d’aventuriers grâce à la visiteuse, qui l’avait prédit. Ils se gardèrent pourtant bien, à la demande de celle-ci, d’évoquer le fait qu’ils étaient déjà attendus.
Visiblement, tout ce qui entourait cette étrange et puissante visiteuse était auréolé du plus grand secret.

Après tout, si Remulos, le Gardien du Bosquet, celui qui avait accepté le peuple Tauren au sein du Cercle, avait lui-même confié sa Marque à Knakette Runetotem, c’est que la jeune druidesse avait une mission d’une importance capitale à accomplir.

La tauren les regarda approcher en silence, et les scruta un moment sans bouger.
De leur côté, Wodo et son groupe l’observaient avec la même intensité.

Après un moment, elle s’inclina devant eux et prit la parole.
« Bienvenue, amis, dit-elle doucement. Mon nom est Knakette Runetotem, fille du vénérable Hamuul Runetotem, Patriarche du clan Runetotem. Votre venue ici confirme que le temps de briser le Sceau est enfin venu. »
Un instant surpris que la tauren en sache autant, Wodo se reprit immédiatement et répondit :
« Nous ne le pourrons pas, noble tauren. Nous n’avons…
- J’ai ce qui vous fait défaut, héros de l’ancien temps. J’ai récupéré le Fragment Vert qui fut confié au gardien Eranikus. » coupa doucement Knakette avec dans la voix un étrange respect.

Wodo resta sans voix, doublement surpris.
Surpris d’abord qu’une tauren, apparemment seule, ait pu récupérer l’un des Fragments du Sceptre des Sables Changeants.
Surpris également de réaliser, sentant l’humilité qui se dégageait du ton de son interlocutrice quand elle s’adressait à lui, que cette Knakette savait qui il était réellement.
Héros de l’ancien temps… Seule la Dame Noire l’avait nommé ainsi, lorsqu’elle l’avait ramené.
Autour de lui, ses compagnons, intrigués par cette appellation, jetait des coups d’œils interrogateurs à celui qui, sur ordre de leur Maîtresse, les avait menés ici. Leurs suppositions quant au fait que Wodo leur cachait bien des choses se vérifiaient de plus en plus. Zarlok restait muré dans un silence songeur, ayant visiblement pris le parti de ne rien révéler de ce qu’il avait sans doute compris lui aussi.

Le voleur se reprit.
Finalement, tout allait pour le mieux. La Dame Noire avait effectivement tout prévu.

C’était maintenant à eux de jouer.

« Mon nom est Wodo, répondit-il. Bienvenue parmi nous, Knakette. Ton aide sera plus que précieuse dans la guerre qui nous attend. »

Il regarda ses compagnons, qui redressèrent la tête en direction des gigantesques Portes toujours scellées.
Pour l’instant.

Avant leur départ d’Undercity, tous avaient été mis au courant de l’ampleur de la tâche qui les attendait.

Une terrible bataille allait avoir lieu aujourd’hui.

Une lueur de déception parut briller un instant dans les yeux de Knakette quand elle comprit qu’elle serait la seule vivante de l’expédition parmi des compagnons mort-vivants.
Elle questionna timidement Wodo à propos du vieux Fichtres, mais le voleur se borna à répondre que le tauren avait rejoint Orgrimmar après le Jour du Vol Noir et que le chaman, comme tout Orgrimmar, n’était pas encore au courant de leur présence en Sillithus.
De toutes façons, ils le seraient sans doute très vite.

Knakette eut un petit sourire triste, visiblement déçue de ne pas revoir le vieux chaman qu’elle connaissait sans doute déjà. Puis elle tourna à son tour son regard vers les portes de la cité maudite.

Dans ses yeux brillait la même résolution et le même courage que dans ceux de ses nouveaux et étranges compagnons Réprouvés.

Avec une singulière harmonie, Knakette et Wodo se mirent à psalmodier sous les yeux de leurs compagnons silencieux et attentifs les premières formules du rituel elfique qui allait permettre de reforger le Sceptre.

Une vingtaine de minutes plus tard, tous tournèrent leurs yeux vers les Portes d’Ahn Qiraj, juste après que Wodo eût heurté le Gong du Scarabée avec le Sceptre reformé. Le son étrange continua à résonner longtemps après que Wodo eût frappé, et vibra en eux jusqu’au tréfonds de leurs âmes.

Tous contemplèrent sans mot dire les battants des gigantesques portes de pierre qui commencèrent à pivoter en grinçant.

L’heure était venue.

Après une interruption de plus de mille ans…

Il était enfin temps d’écrire le chapitre final de la Guerre des Sables Changeants.

[A SUIVRE…]

Invité

Bon, alors se soir j'étais sensé finir de lire un livre, ben je peux te dire qu'après ça, la littérature c'est pas forcement ultra passionnant^^ encore gg Smile

[A SUIVRE…] Suspect

NAAaaaaaaaaannnn

je reste sans voix, vivement la suite bounce

Invité